Un ancien Premier ministre algérien à Barack Obama: un verre de vin contre la bombe atomique

L'ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal avec l'ancien président américain Barack Obama. 

L'ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal avec l'ancien président américain Barack Obama.  . DR

Les tribunaux algériens, où défilent depuis plus d’une année une partie des dirigeants de l’ère Bouteflika, la «Issaba» moins honnie par le Hirak que celle du clan des généraux, prennent l’allure d’un chapiteau sous lequel les hauts commis de l’Etat, rattrapés par la corruption, font leur cirque.

Le 13/10/2020 à 17h22

Hier, lundi 12 octobre, dans le cadre du procès en appel de l’homme d’affaires Ali Haddad, un ancien protégé de Saïd Bouteflika, deux anciens premiers ministres de Abdelaziz Bouteflika, Abdelmalek Sellal (2012-2014, puis 2014-2017) et Ahmed Ouyahia (2017-2019), ont été appelés à la barre en tant que témoins et/ou complices dans l’attribution de gros marchés de l’Etat à ce magnat algérien, moyennant de conséquents pots-de-vin.

Pots-de-vin? Non, réfute Abdelmalek Sellal, car ce breuvage, dit-il, est «haram», même s’il reconnaît avoir bu un verre dans l’intérêt de l’Algérie. En effet, ne sachant quoi dire pour se défendre dans des affaires de corruption où il est submergé jusqu’au cou, à l’instar de tous ceux qui ont eu à occuper de hautes fonctions étatiques en Algérie, Sellal a tenté de divertir les juges de la Cour d’Alger, en relatant une brève rencontre avec l’ancien président américain Barack Obama.

L'anecdote remonte à il y a six années, à l’occasion du sommet Afrique-USA de l’été 2014, où l’ex-président américain avait reçu à la Maison Blanche une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine, et à laquelle Bouteflika ne pouvait naturellement pas assister, à cause de l'incapacité qu'on lui sait. 

A la barre au tribunal de Sidi M'hamed d'Alger, hier, Abdelmalek Sellal a restitué l'échange qui suit entre lui et Obama, qui, en homme le plus renseigné du monde, lui aurait servi un verre de vin dans le bureau Ovale: «je me suis excusé et je lui ai dit que c’est haram. Mais après son insistance, je lui ai dit que je boirais volontiers ce verre à condition de me donner une bombe atomique», déclare Sellal dans la salle du tribunal, devant une audience médusée.

Les pitreries de Sellal ont de quoi bien faire rire. On peut même lui reconnaître un certain talent comique. Mais en guise de prestation théâtrale, c’est à une tragi-comédie que se livrent les anciens hommes fort du régime algérien. La sortie de Sellal est, en fait, révélatrice de l’aspect clownesque et du manque de sérieux des dirigeants en Algérie, tout justes bons à se produire dans des foires.

Que signifie donc ce soudain pharisianisme de l’ancien Premier ministre algérien? Cette surenchère de piété au point de conditionner de trinquer avec Barrack Obama par l’octroi des USA à l’Algérie de la bombe atomique? Cette phraséologie, de mauvais aloi, est d’autant plus hypocrite qu’elle utilise la notion religieuse de «haram», comme un bouclier de défense. 

Or l’on sait fort bien qu’en Algérie, le vin coule à flots dans les bars qui pullulent dans des villes comme Oran, Annaba, Alger… Dans la capitale, le Club des Pins est le haut lieu où les dignitaires de l’Etat algérien, généraux et ministres, celui des affaires religieuses en tête, se bousculent pour faire étalage de leur ivresse du pouvoir.

Ce nouveau déballage des politiques, interdits, sous peine de circonstances aggravantes, de «mouiller» le président Abdelmadjid Tebboune ou l’un des généraux de l’armée, s’ajoute à celui d’un élu, également en prison. En effet, au cours du procès de l’ex-député d’Annaba, Baha Eddine Tliba, le fils de Djamel Ould Abbas, ancien secrétaire général du FLN, lui aussi en prison, a révélé que des candidats du vieux parti, pour lequel plus personne ne vote, ont acheté leur députation, lors des législatives de 2017, à l’Assemblée populaire nationale contre la plus que coquette somme de 500.000 euros.

Ces scandales ne sont pas sans rappeler le lavage de linge sale qui secoue en parallèle l’armée algérienne, dont plusieurs généraux croupissent actuellement en prison, quand ils ne sont pas en garde à vue, ou alors en fuite en Europe.

L’anecdote racontée au tribunal par Abdelmalek Sellal a au moins ce mérite de rappeler qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau de bain.

Dans ses complaintes devant les juges, un voile semble en effet avoir été levé sur de probables folles intentions de l’Algérie de se doter d’une bombe atomique, clé en main. En 2014, les quelque 1000 milliards de dollars que l’Algérie avait engrangés des prix du pétrole, à son niveau le plus élevé à cette époque, lui faisaient croire qu’elle pouvait tout se permettre. Sellal le bouffon a dit, en fait, tout haut ce que convoite, ce dont rêve la nomenklatura de son pays: la possession de l’arme nucléaire, pour mettre ses voisins à ses pieds. Il sait bien que le véritable enfer est celui que le régime des oligarques rêve de bâtir en Afrique du Nord et dans le Sahel. Mine de rien, celui qui a posé une condition ubuesque pour trinquer avec Obama a commis un lapsus qui en dit long sur les intentions de nos voisins.

Par Mohammed Ould Boah
Le 13/10/2020 à 17h22