Benkirane & PJD: chronique d’une mort annoncée

Karim Serraj.

ChroniqueLe paysage interne du PJD est plat, presque en descente douce. Les équipes sont encore sonnées deux ans et demi après l’échec cuisant de 2021. Le parti politique, qui a tout perdu, semble ne pas prendre le virage de la reconstruction. Et Abdelilah Benkirane de ne pas vouloir partir...

Le 24/03/2024 à 12h01

Dans ces salons feutrés, on chuchote qu’il doit arrêter la facture. Quitter les projecteurs. Prendre sa retraite au 9ème congrès national du PJD prévu en avril 2025. «Il», c’est Abdelilah Benkirane, L’Haj. Sa formation politique est dans un état de délabrement avancé. Au sein des cadors et des figures historiques, on se prépare à l’après-Benkirane.

Saâd Dine El Otmani et El Mustafa Ramid, les fidèles de la première heure sont blasés, fatigués. Ils gèrent les affaires courantes avec résilience, presque d’une façon impersonnelle. Tout est derrière eux désormais, ne demeure que la bobine intime des souvenirs. Les deux hommes observent de loin les conflits qui ont éclaté entre les prétendants au trône. Ils rient, de connivence, sur les jacqueries des compétiteurs dont aucun n’a été adoubé par le vieux dinosaure. Ce dernier ne pipe mot. Il n’administre plus son parti demeuré en friche. Il assiste un rictus au coin des lèvres à la montée des frondes fratricides à l’approche de la grand-messe de l’année prochaine. Manque de consensus, absence de figure rassembleuse et divergences politiques nombreuses qui ont ressurgi fragilisent davantage le parti au bord du précipice.

La Lampe est empêtrée dans une crise profonde. Sa base d’électeurs historique s’est effritée drastiquement. La formation politique a surtout perdu le vote de la bourgeoisie arabophone et intellectuelle, force idéologique de jadis. En interne, on assiste à des démissions en chaine de plusieurs personnalités fortes, dont la dernière en date est celle d’Abdelkader Amara, ancien ministre de plusieurs portefeuilles, qui a jeté l’éponge quelques jours après les déclarations étonnantes de Benkirane sur le séisme d’Al Haouz, un châtiment divin selon lui pour punir les Marocains de leurs péchés.

Pour s’adresser aux foules, L’Haj n’a plus que les réseaux sociaux. Il y admoneste ses fans illuminés et surfe sur des sujets populistes. Chaque semaine, une benkirania, une trouvaille de battage médiatique pour nourrir les stories de tous genres des islamistes «branchés» de TikTok. Ses saillies produisent dans la benkiranosphère des commentaires irrationnels –si ce n’est le retour à la charia et l’éternelle justification de toute chose par la référence islamique, vaste panier fourre-tout de la sémantique PJDiste.

Sa fenêtre de tir s’est réduite comme peau de chagrin à un partage de ses vidéos étranges. Il choisit sa prestance: un marabout engoncé dans des vêtements pieux traditionnels. Et ses thèmes: les préférences sexuelles du Premier ministre français, le jour même de la visite du chef de la diplomatie française au Maroc; le Code de la famille, préconisant entre autres la légalisation du mariage des mineures et de la polygamie. Il en arrive à menacer partis politiques et associations chayatines d’une «marche d’un million de manifestants» pour contrer la réforme; la Palestine, lorsqu’il se fait l’écho creux du chef du Hamas, et après quand, dans une conférence de presse il lâche des larmes de crocodile en évoquant les Accords d’Abraham. Il ne cogite plus, mais baragouine en public des propos sans queue ni tête, où se mêlent mea culpa et paternalisme mal placé. Ces frasques, et d’autres connues de tous permettent au chef suprême du PJD d’exister.

Sans vision politique, Abdelilah Benkirane est devenu un boulet pour le PJD. Son personnage s’est boursouflé. Il a pris de l’âge, du poids, de la démesure. Un Don Quichotte de l’islam qui se bat contre des moulins à vent. Mais l’homme semble coulé dans un chêne bicentenaire. Il n’en démord pas. Il s’accroche. À quoi? À un pouvoir périmé exercé sur des cadors vassaux qui préparent de sourdes révoltes. Sa cour est gangrénée d’alliances sectaires autour de trois ou quatre potentiels successeurs. Les couteaux volent bas entre Idriss El Azami, président du Conseil national du parti islamiste et ancien ministre délégué au Budget, Mustafa El Khalfi, ancien ministre de la Communication, et Abdallah Bouanou, président du groupement parlementaire du PJD à la Chambre des représentants. Tout ce monde se tient par la barbichette, mais personne n’ose se mouiller davantage et affronter le vieux renard. Les «enfants» de L’Haj attendent. Le «patriarche» attend aussi dans une nébuleuse aveuglante. Le temps est suspendu au PJD.

Pour l’heure, le PJD ne joue aucun rôle d’envergure au Maroc. Le successeur d’Abdelilah Benkirane héritera d’un parti boiteux. Celui-ci a périclité en formation politique de moyenne taille, et risque de finir en petit parti aux législatives de 2026 à cause du changement de l’assiette politique des électeurs, mais surtout de l’absence d’une figure de phénix.

Par Karim Serraj
Le 24/03/2024 à 12h01