Comment Maelainine met Benkirane et le PJD face à leurs contradictions

La députée PJD Amina Maelainine.

La députée PJD Amina Maelainine. . DR

Sur son compte Facebook, la députée PJD, photographiée sans voile à Paris, relate une conversation qu’elle a eue avec Abdelilah Benkirane. Celui-ci lui a affirmé qu’elle était libre de s’habiller à sa guise. Autant elle que lui semblent avoir oublié leurs attaques contre des femmes sans voile.

Le 10/01/2019 à 13h28

Depuis l’éclatement du scandale lié à la diffusion d’une photographie d’Amina Maelainine, sans voile à Paris, la députée du PJD ne cesse de multiplier les sorties et les justifications… Dernier fait d’armes, un long post publié ce jeudi sur Facebook, dans lequel la députée relate une discussion qu’elle a eue avec Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement, ancien secrétaire général du PJD et (toujours) son homme fort. Les propos sont pour le moins étonnants. «Si tu m’avais consulté le premier jour, je t’aurais suggéré de dire: et alors? Si je choisis de porter le foulard ici et de l’enlever ailleurs, c’est mon affaire… Se voiler, ou non, est une question personnelle», lui a ainsi conseillé Benkirane. Et d’ajouter que porter le foulard islamique n’a à aucun moment été une condition pour intégrer le parti et militer dans ses rangs.

اللقاء مع بنكيران اتصل الكثيرون يسألون عن لقائي ببنكيران الذي انتشر خبره قبل حدوثه ثم بعده. وكنت قد آليت على نفسي ألا...

Posted by Maelainine Amina on Wednesday, January 9, 2019

Le plus étonnant, ce n’est pas tant la posture de cet ancien chef du gouvernement, ni celle de sa protégée. Il est évident que chacun est libre de s’habiller comme bon lui semble. Que Maelainine décide d’enlever le voile, au Maroc ou ailleurs, c’est là son droit le plus absolu et nul ne saurait s’immiscer dans ce qui relève de ses libertés individuelles.

En fait, ce qui questionne, c’est que celle qui tient ces propos a bâti toute sa carrière politique en s’attaquant à ces mêmes droits et à ces mêmes libertés.

N’est-ce pas cette même députée qui avait, en mai 2014 et tambour battant, attaqué les minorités sexuelles et tiré à boulets rouges contre les discours tolérant leurs «obscénités», interpellant à cet égard le ministre des Habous et des affaires islamiques au Parlement?

N’est-ce pas Amina Maelainine qui avait provoqué une véritable levée de boucliers en 2015, appelant à la révolte contre la diffusion par 2M d’un concert de Jennifer Lopez, programmé dans le cadre du festival Mawazine?

Le tout, au nom de la pudeur, des valeurs musulmanes et de ce qui est «vendu» par ces idéologues comme des traditions marocaines…

S’accorder aujourd’hui des droits, légitimes au demeurant, qu’on renie aux autres est symptomatique, au mieux, d’une grande schizophrénie et, au pire, du mépris de l’intelligence et du bon sens commun à tous les Marocains.

Nombre des défenseurs d’Amina Maelainine se sont d’ailleurs rendus coupables de ce même double discours.

Abdelilah Benkirane vient d’ailleurs d’ajouter son petit grain de sel en «validant» à sa manière l’attitude de la députée.

Alors même que lui, en 2001 au Parlement, dans une véritable crise d'hystérie, s’était permis de hurler une série d'invectives à l’adresse de la camerawoman de la deuxième chaîne, Amina Khabab, la sommant de quitter la séance des questions orales dans l’hémicycle, et la poussant littéralement à la porte. Parce que ce ténor du PJD n’avait pas trouvé les vêtements de cette camerawoman à son goût…

Benkirane présidait le parti quand un autre de ses ténors, Lahbib Choubani, à cette époque ministre, avait, en avril 2014, exigé de la journaliste Khadija Rahali (Al Assima Post) de quitter le Parlement du fait de sa tenue, qu’il avait jugée «inappropriée».

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Pourtant, il n’y pas que la tenue d’Amina Maelainine qui est aux antipodes de l’idéologie du PJD. Il y a aussi sa posture et l’endroit qu’elle a choisi pour poser en esquissant une danse. Elle a opté pour l’un des quartiers chauds de Paris, peuplé de sex shops: le boulevard de Clichy, dans le XVIIIe arrondissement. Elle a également choisi de prendre la pose juste au-dessus de la bouche d'une station de métro, un rappel (sans doute insconscient?) d'une photographie iconique de Marilyn Monroe, alors que le souffle de l'air faisait très tendancieusement et coquinement soulever sa jupe.

Ce n'est pas tout: Amina Maelainine, pourtant gardienne auto-proclamée de la vertu, a aussi choisi comme décor en arrière-plan, le Moulin Rouge, un cabaret emblématique de la ville lumière, où des danseuses, souvent seins nus, se livrent à des revues artistiquement irréprochables. Mais... Voilà... Saura-t-elle reconnaître, dans un rare accès d'hônneteté intellectuelle, que les tenues des danseuses du Moulin Rouge sont bien plus suggestives que la tenue arborée par Jennifer Lopez, lors du festival Mawazine en 2015, en fait une véritable burqa, comparativement à celle de ces danseuses de revues parisiennes? 

"Lire" cette photo de façon froidement analytique dément ainsi, de façon éclatante, toutes les pseudo-valeurs sur lesquelles le PJD a fondé son discours et sa morale.

Ce qui interpelle (et effraie grandement), c’est cette dangereuse dualité dans les positions de ces idéologues. Mais sur ce registre, tant Abdelilah Benkirane, Amina Maelainine que le PJD en tant que parti à référentiel islamique, n’en sont vraiment plus à une contradiction près. En authentifiant cette photo, Amina Maelainine ne pourra se tirer à si bon compte en déclarant, avec l’appui de Benkirane, que le voile est une affaire personnelle. C’est là trop facile!

Il aurait fallu au préalable se retenir de toutes ces attaques d’antan contre des personnes qui ne portaient pas ce voile et respecter leur liberté. Etre élue sur la base d’un discours moralisateur et venir ensuite, aujourd’hui en appeler au respect de la vie privée est un peu court comme argumentaire.

L’affaire fera sans doute encore des vagues. Car au lieu d’apaiser des esprits échauffés, le soutien que vient d'apporter Benkirane à la députée de son parti jette un grand pavé dans la mare, en levant le voile, c'est le cas de le dire, sur les contractions du PJD.

Par Tarik Qattab
Le 10/01/2019 à 13h28