Hichem Aboud: «Le pouvoir algérien est tenu par des détraqués»

Hichem Aboud, journaliste, écrivain et chroniqueur algérien à grand succès, dans un entretien pour Le360 avec Tarik Qattab.

Hichem Aboud, journaliste, écrivain et chroniqueur algérien à grand succès, dans un entretien pour Le360 avec Tarik Qattab. . youssef El Harak Le360

Le 16/06/2022 à 13h03

VidéoJournaliste, écrivain et chroniqueur algérien à grand succès, notamment sur YouTube, Hichem Aboud revient dans cet entretien pour Le360, sur sa visite dans le Sahara marocain. Il n'en revient pas, devant les progrès réalisés. Il analyse également la nature d’un régime algérien «qui refuse le droit à l’autodétermination à son propre peuple».

Vous êtes un habitué du Maroc, mais c’est la première fois que vous vous rendez dans les Provinces du Sud, où vous avez visité les villes de Laâyoune et Smara. Dans quel contexte s’inscrit votre déplacement?Connaître le Maroc, au même titre que l’Algérie ou la Tunisie, est quelque chose de tout à fait naturel pour moi, étant donné que je me considère avant tout comme un Maghrébin. Ma visite dans les Provinces du Sud s’inscrit dans le contexte d’une invitation qui m’a été adressée par l’Initiative maghrébine de soutien au plan d'autonomie, une ONG que dirige Walid Kébir, un écrivain algérien installé à Oujda. Pour moi, c’était une occasion de découvrir ces villes, et j’ai été émerveillé par ce que j’ai vu. Je ne saurais dire à quel point j’ai été frappé par la beauté des lieux, et aussi par les réalisations qui ont été faites dans cette région. Il y a 40 ans, avec le départ des Espagnols, une ville comme Smara ne comptait pas même une école. Aujourd’hui, elle compte 36 établissements scolaires, en plus d’une faculté pluridisciplinaire. Ces réalisation font que le Sahara n’est plus cette contrée désertique, où il ne fait pas bon vivre. Au contraire, ceux qui y habitent s’y plaisent. Quand il y a de la verdure, il y a de la vie.

La réalité socio-économique que vous avez pu constater au Sahara correspond-elle aux idées que vous aviez auparavant sur cette région?Ceux qui n’ont pas vu [ce que j'ai pu constater] de leurs propres yeux ne pourront pas savoir ce qu’il se passe dans cette région. Personnellement, j’ai visité une conserverie de poisson, une usine de dessalement d’eau de mer, des installations sportives, le marché central (qu’on ne trouve même pas dans des villes européennes)… L’intérêt de se rendre sur les lieux est de constater de visu ce qui a été réalisé et ce qui reste à faire. Quand on voit qu’il existe une faculté de médecine à Laâyoune, un hôpital universitaire, c’est tout simplement magnifique. Même l’AC Milan a eu une école de football dans cette ville. Et je ne pouvais pas m’imaginer qu’il y avait toutes ces infrastructures.

Au cours de votre visite dans les Provinces du Sud, vous avez déclaré que le Maroc était (déjà) en train de matérialiser son plan d’autonomie pour le Sahara. Sur quels aspects?J’ai pu, au cours de ce voyage, rencontré les autorités locales et les élus de Smara et de Laâyoune. On voit que l’autonomie est déjà exercée et qu’on n’a pas besoin d’attendre le feu vert d’une quelconque partie. D’ailleurs, je me suis demandé pourquoi il y avait autant de bruit autour de l’autonomie et pourquoi il fallait un accord avec le Polisario, lequel sait parfaitement ce qu’est cette autonomie. Cela, bien avant 2007 (date d’introduction de la proposition par le Maroc devant l’ONU) mais plutôt en 1989, quand le roi Hassan II, que Dieu ait son âme, a reçu des représentants du mouvement séparatiste à Marrakech et leur a présenté le projet. Or, à ce jour, le Polisario n’a pas donné de suite. C’est une erreur parce que quand on refuse de débattre de ce projet, on devient nihiliste.

L’opinion en Algérie est-elle au fait des réalités tangibles que vous avez pu constater dans la région et des projets de développement réalisés ou en cours?Comment voulez-vous que l’opinion algérienne, ou tunisienne, ou même marocaine, puisse savoir la réalité de cette région quand il y a absence totale d’une stratégie de communication autour de ces Provinces du Sud?

Comment évaluez-vous la position actuelle du pouvoir algérien à l’égard de la question du Sahara? Est-elle en phase avec la réalité sur le terrain et sert-elle vraiment les intérêts des populations sahraouies?Le problème du régime algérien n’est pas avec le Maroc, mais avec le peuple algérien. Ce régime, en son for intérieur, est convaincu qu’il est impopulaire. Il souffre d’un manque de légitimité. Que peut-on donc attendre de quelqu’un d’illégitime, d’un voyou qui ne respecte aucune règle, ni aucune loi, si ce n’est se retourner contre celui qui refuse de lui donner cette légitimité dont il a besoin? L’ennemi, pour le pouvoir algérien, ce sont les Algériens. Et si ces derniers avaient réellement la capacité d’élire leur gouvernants et représentants, on n’en serait pas à ce conflit sur le Sahara entre deux pays frères et entre deux peuples qui, avec les Tunisiens, ont tout pour être heureux ensemble, être politiquement stables et économiquement forts.

Pendant ce temps, de nombreux pays soutiennent le plan d’autonomie proposé par le Maroc. Parmi eux, l’Espagne, avec la réaction qu’on connaît du pouvoir algérien, qui a voulu suspendre sa coopération avec ce pays. Qu’en pensez-vous?Pourquoi ne pas parler du soutien américain, les Etats-Unis ayant été plus loin que les Espagnols en ne se limitant pas au soutien à l’option d’autonomie mais en reconnaissant, en plus, la marocanité du Sahara? Le fait est que le régime algérien n’osera jamais hausser le ton devant les Etats-Unis et préfère s’en prendre à l’Espagne qui a pris position dans une affaire sur laquelle l’Algérie s’est toujours déclarée non concernée. Du côté algérien, on ne souffle pas un seul mot sur les manœuvres militaires de l’opération «African Lion» qui, pourtant, auront lieu le 20 juin, non loin de la frontière algérienne et sur un territoire que l’Algérie conteste au Maroc. Pendant ce temps, le régime algérien fait le dos rond, baisse la tête et n’a pas le courage de réagir. Parce qu’en face, il y a la force. Ce régime n’a cessé d’accuser le Maroc d’agressions, de financement des indépendantistes kabyles, d’hébergement des opposants. Alors que moi, par exemple, je ne pourrais même pas bénéficier du statut de réfugié au Maroc. Je ne l’ai d’ailleurs pas demandé. C’est ce même régime qui verra les armées de plusieurs nations, en tête desquelles les Etats-Unis, pointer leurs armes en sa direction lors de ces manœuvres. Et il ne peut rien dire.

On oublie également le peu d’entrain du pouvoir algérien à réagir contre la France, alors que c’est ce pays qui abrite les opposants et autres indépendantistes. La raison est bien simple: les tenants du gouvernail en Algérie ne sont autre que des voyous, valets de la France, où ils ont transféré leur argent et où ils disposent de biens de toutes sortes. Le MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie) défile tous les week-ends dans les rues de Paris, sans que l’Algérie n’ose protester. Cela prouve la faiblesse et la lâcheté d’un régime qui ne s’attaque qu’aux forces qui ne peuvent lui répondre.

Dans le même ordre d'idées, comment expliquer un tel parti pris contre l’Espagne de ce pays, qui se dit pourtant neutre et non concerné par la question du Sahara?Vous avez affaire à un régime tenu par des détraqués mentaux. Quand on se dit «pas concerné» par la question du Sahara, il faut alors laisser le Polisario négocier pour lui-même et agir librement. Or, le Polisario est dompté et il est totalement au service d’un pouvoir en mal de légitimité chez lui, avec un président désigné, avec un taux de participation aux élections l’ayant porté à son poste ne dépassant pas les 34%. Malgré la fraude. L’Algérie n’a ni président ni Constitution, et encore moins un Parlement, le dernier référendum et les dernières législatives ayant été boudés par les Algériens. Tout cela par la faute d’un régime qui refuse d’accorder au peuple algérien son droit à l’autodétermination. Au lieu de cela, il revendique ce droit à une population sahraouie séquestrée à Tindouf.

Vous avez bien prononcé le terme «séquestrée»Je connais les gens du Polisario. Et je suis moi-même un réfugié. Je peux vous dire qu’eux et moi n’avons pas le même statut, ni les mêmes droits. Un réfugié a droit à un passeport, il peut circuler librement, il n’est pas otage dans un camp. Les Sahraouis de Tindouf n’ont rien de cela. Je parle de la manière la plus objective: il s’agit bien là d’une séquestration.

Vous êtes un fervent défenseur de l’unité entre les peuples du Maghreb, objet d’un blocage de facto du pouvoir algérien. Un changement à la tête de ce pouvoir peut-il ouvrir de nouvelles perspectives à cet égard?Ce changement de régime allait avoir lieu en 2019, lorsque le peuple algérien a administré au monde entier la plus belle des leçons en organisant des manifestations populaires qui ont drainé des millions de personnes dans toutes les villes du pays. Le tout en chantant, en dansant et en plaisantant. Malheureusement, des bandits, qui étaient d’ailleurs les sbires de l’ancien régime de Bouteflika, se sont emparés du pouvoir et ont volé aux Algériens leur révolution, après leur avoir volé leur pétrole et leurs richesses. On n’attend rien de moins que leur départ. Pour cela, il nous faudrait un nouveau Hirak, toujours pacifique.

Croyez-vous à un retour du Hirak?Tout est possible. La preuve: le régime fait tout pour qu’il n’y ait plus de Hirak. Le Covid-19 est désormais normalisé, mais les stades de football sont toujours fermés au public. Tout simplement parce que c’est dans les stades que le Hirak est né. Quand le CR Belouizdad a accueilli le Wydad à Alger (quarts de finale de la Ligue des champions de la CAF, Ndlr) on a rempli le stade de militaires et de policiers en civil pour éviter les slogans du Hirak, auxquels on a préféré des propos grossiers et injurieux indignes des Algérois. Contrairement à tous les pays de la Terre, le régime algérien a fait du coronavirus son allié contre le peuple algérien. Il en a d’ailleurs profité pour fermer les frontières terrestres avec la Tunisie, qui a eu le malheur de ne pas marcher au pas des généraux. Conséquence: on punit les Algériens qui ne peuvent se rendre ni au Maroc ni en Tunisie, mais aussi cette dernière.

Vous avez officié par le passé en tant que rédacteur en chef du mensuel El Djeïch, la revue de l’armée algérienne qui se distingue actuellement par ses charges contre le Maroc. Qu’est-ce qui explique une telle véhémence?Pour l’anecdote, l’actuel responsable de cette revue était sous mes ordres dans le passé. Il a toujours brillé par son inculture. Je peux vous dire qu’il n’a jamais écrit une phrase, mais il est docile. C’est un exécutant, un HDT (Homme de troupes) qui porte les galons de général et qui ne sait dire que «Nâam sidi». C’est le cas d’ailleurs de tous les actuels généraux algériens. Son patron n’est autre qu’un criminel, qui s’appelle Saïd Chengriha. Et la revue est taillée sur mesure pour passer ses photos, reprendre toutes ses activités et chanter sa gloire.

Or, El Djeïch est une revue militaire. Qu’on ramène toutes les revues militaires dans le monde. Il n’y en aura pas une qui soit dirigée contre un autre pays, qu’il soit voisin ou lointain, et qui fasse dans l’insulte. La revue El Djeïch le fait. L’injure est devenue une arme contre des pays qui ne prennent même plus la peine de nous répondre, qui nous ignorent. Le propre d’une armée est qu’elle ne fait pas dans le verbiage. La nôtre nous coûte 12 milliards de dollars par an. La moindre des choses est que quand un ennemi nous pose problème, nous devons le confronter militairement.

Opprimé, contraint à l’exil, traité de terroriste, vous avez également été menacé de mort par le régime algérien. Craignez-vous pour votre sécurité aujourd’hui? Êtes-vous protégé?Je suis en exil depuis 1987. J’ai combattu tous les régimes qui se sont succédé à la tête de l’Algérie. J’ai récolté quatre peines de prison sous Lamine Zeroual. Idem sous Bouteflika. J’ai même fait l’objet d’une tentative d’enlèvement et d’assassinat, et l’affaire est devant les justices française et belge. Il y a eu une parenthèse où je suis rentré en Algérie, entre le 1er novembre 2011 et le 10 août 2013, mais j’ai continué à être libre dans mes écrits. Cela n’a pas arrangé le régime en place. Alors j’ai poursuivi mon exil.

Je suis profondément croyant. Je n’ai peur que de Celui que je ne vois pas, et devant Lequel je me prosterne quotidiennement. Et c’est Lui qui m’a protégé, parce que celui qui devait servir d’appât pour m’atteindre est celui-là même qui m’a aidé et m’a fourni les enregistrements et autres éléments sur lesquels je me base dans mon affaire devant la justice, contre les Pieds nickelés qui voulaient m’assassiner.

Par Tarik Qattab avec Khadija Sebbar et Adil Gadrouz
Le 16/06/2022 à 13h03