Larguée par l’avance technologique marocaine, l’armée algérienne s’ensable dans des effets d’annonce

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le général Saïd Chengriha.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le général Saïd Chengriha. . DR

Au nom d’une supposée réciprocité, l’Algérie annonce la construction d’une base militaire près de la frontière marocaine et demande l’aide de la Russie pour un système de défense et d’espionnage. Raison de cette excitation: combler, quitte à s’y perdre, le grand fossé creusé par le Maroc.

Le 25/06/2020 à 10h51

La mise en place par le Maroc d’une banale caserne militaire dans la province de Jerada, à la frontière avec l'Algérie, n’en finit pas de cristalliser le complexe du régime militaire algérien face à l’avance technologique (civile et militaire) du Maroc. Dernier acte en date, l’annonce faite, mardi 23 juin, dans les colonnes du site Tout sur l’Algérie, de la construction par la junte au pouvoir d’une base militaire à l’ouest du pays, soit à la frontière avec le Maroc. Le tout, au nom d’une supposée réciprocité. Fiévreux dès qu’une annonce militaire marocaine est faite, le régime algérien voit en la caserne de Jerada un projet clairement dirigé contre lui.

Les Forces Armées Royales ont beau démentir tout caractère opérationnel, et encore moins hostile du projet précité. Elles ont eu beau affirmer, dès le 30 mai dernier, soit au lendemain de la publication de la décision sur le Bulletin officiel, qu’il s’agissait d’une petite caserne à vocation d’hébergement de troupes, entrant dans le cadre d’un«projet global de délocalisation des casernes militaires ayant pour objectif la libération du foncier urbain, partout dans le Royaume». Pour l’Algérie, il s’agit bel et bien d’une base militaire qui s’étend sur 23 hectares, construite (bien évidemment) «avec l’aide d’Israël» et dont la vocation est d’accueillir «des structures d’espionnage électronique», selon une source de TSA. Et c’est là où le bât blesse.

Si l’Algérie veut absolument voir en cette caserne, et malgré les explications marocaines, l’incarnation de tous les projets de «l’ennemi» que nous sommes contre sa stabilité, c’est parce que ses dirigeants semblent enfin prendre la mesure de leur retard technologique vis-à-vis du Maroc. Les accusations portées contre le Royaume, comme tous les projets militaires récents de l’Algérie, ne sont qu’un subterfuge de plus pour s’en cacher et justifier les futurs choix budgétivores.

«Ce que TSA ne dit pas, c’est qu’au moment où l’information sur la base militaire algérienne est sortie, le chef de son armée se trouvait en Russie. Le but de ce déplacement est bien clair: demander de l’aide aux Russes pour installer un système à la fois de défense et d’espionnage électronique», déclare un expert en relations Maroc-Algérie.

Sous couvert de célébration du 75e anniversaire de la victoire russe dans la grande guerre patriotique de 1941-1945, Saïd Chengriha, chef d’état-major par intérim de l’Armée nationale populaire, a en effet entamé, mardi 23 juin, une visite officielle à Moscou, lit-on dans un communiqué du ministère algérien de la Défense.

«L’objectif inavoué de cette visite n’est autre que de s’appuyer sur la puissance russe pour rattraper l’avance technologique, notamment en matière de renseignement électronique, du Maroc», explique notre source. «Il y a des décennies que le Maroc est sorti de la logique de confrontation avec l’Algérie pour miser sur des enjeux géostratégiques autrement plus importants: la sécurité du territoire national et l’engagement dans la lutte contre les groupes criminels transfrontaliers, qu’ils soient terroristes ou autres», explique Abdelfettah Fatihi, directeur du Centre Sahara et Afrique d’études stratégiques. Les deux satellites marocains Mohammed VI-A et Mohammed VI-B sont passés par là.

«Le Maroc a depuis longtemps compris que c’est désormais l’ère de la technologie et de l’élément humain à même d’en assurer et d’en optimiser l’usage. D’où le pari des satellites de surveillance et de la formation des ressources humaines militaires. En face, l’Algérie est toujours otage d’une logique d’acquisitions en masse de matériel qui, bien souvent, ne sert à rien», analyse Mohamed Talib, chercheur et spécialiste du conflit du Sahara.

Mis sur orbite, respectivement en novembre 2017 et en novembre 2018, les deux satellites ont marqué l’entrée du Maroc dans la sphère du renseignement hight-tech pendant que l’Algérie s’enlise toujours dans une course à l’armement lourd, à coups d’onéreuses acquisitions d’armes, d’équipements et d’artillerie. Et pendant que les deux satellites marocains couvraient, pas moins de 250.000 km2 par jour, permettant de réaliser quelque 370 cartes, le voisin bombait le torse à coups de démonstrations de forces… dans le désert.

L’Algérie a pris conscience de l’immense retard cumulé en matière de guerre électronique et cherche à changer la donne, mais à la va-vite, dans l’urgence. «Il ne faut pas s’étonner de voir se conclure de grands contrats sur des satellites et autres outils hautement technologiques, mais encore faut-il prendre le temps de former les ressources humaines et de changer de paradigme dans la doctrine qui prévalait jusque-là. Là encore, c’est l’élément humain qui fait toute la différence. Or, il est clair que c’est le cadet des soucis des généraux algériens», remarque Talib.

«Il paraît évident aujourd’hui que tout le tapage fait autour de la future caserne de Jerada n’a nul autre but que de justifier de futurs contrats militaires, inadmissibles au vu de la crise du Covid-19 actuelle et de l’état de l’économie algérienne, tout en tentant d’occulter le caractère totalement désuet des choix stratégiques passés et présents du régime de ce pays», explique cet expert.

Le jeu de l’épouvantail marocain et le recours à l’allié russe pour recoller les morceaux d’une stratégie militaire reposant sur le seul armement sont-ils suffisants pour que l’Algérie rattrape son retard? Rien n’est moins sûr. «Au-delà des investissements lourds que représente le renseignement électronique, c’est aussi une question de temps. Il faut compter, au bas mot, cinq ans entre la décision de lancer des satellites et leur mise en orbite effective. Connaissant la lourdeur de la machine de prise de décision algérienne et la grande corruption qui sévit toujours dans les contrats de l’Etat, tous les doutes quant à la faisabilité d’un tel projet sont permis», conclut Abdelfettah Fatihi.

Par Tarik Qattab
Le 25/06/2020 à 10h51