«Le Maroc attend de l’Espagne des actes», affirme une source diplomatique

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Un haut responsable de la diplomatie marocaine a affirmé, interrogé par Le360, que la crise bilatérale entre Rabat et Madrid n’est pas liée au flux migratoire, mais à l’admission en catimini, en Espagne, d’un criminel de guerre qui a appelé à prendre les armes contre les Marocains.

Le 20/05/2021 à 11h26

«Il faut rappeler [ce qui est] fondamental: la crise entre le Maroc et l’Espagne a pour nom Brahim Ghali et non pas Sebta». C’est ainsi que s’est exprimé un haut responsable de la diplomatie marocaine qui a été interrogé sur l’exacerbation de la crise entre Madrid et Rabat, après le déferlement de plusieurs milliers de migrants sur la ville occupée de Sebta. La crise entre le Maroc et l’Espagne s’est intensifiée, mardi dernier, avec la convocation à Madrid de l’ambassadrice du Royaume du Maroc, Karima Benyaich, et son rappel à Rabat, le même jour, pour consultations.

«Le Maroc n’agit pas par émotion, mais sur la base de faits tangibles qui mettent à rude épreuve le partenariat stratégique entre les deux pays», ajoute notre source. Et de rappeler: «nous n’avons toujours pas reçu d’explication, ni de justification de l’Espagne».

Il faut rappeler à ce propos que le ministère marocain des Affaires étrangères a souligné dans un communiqué, diffusé le 8 mai dernier, que «la décision des autorités espagnoles de ne pas aviser leurs homologues marocaines de la venue du chef des milices du “polisario“, n’est pas une simple omission. Il s’agit d’un acte prémédité, d’un choix volontaire et d’une décision souveraine de l’Espagne, dont le Maroc prend pleinement acte». Ce communiqué mettait en garde contre l’attitude de certains responsables espagnols, «minimisant l’impact pourtant grave sur la relation» entre les deux pays.

Manifestement, en dépit du ton de ce communiqué, l’exécutif espagnol a persisté dans sa politique tendant à ignorer Rabat, ne prenant pas en considération que l’accueil du chef du Polisario est assimilé au Maroc à une «complicité avec un criminel de guerre qui bénéficie étonnamment de l’inaction de la justice espagnole».

«La parenthèse migratoire n’est pas le sujet, c’est un ingrédient pour rappeler l’importance du voisinage stratégique entre le Maroc et l’Espagne», précise notre source, qui ajoute que Rabat attend toujours «une réponse juridique» à l’accueil sur le territoire espagnol d’un criminel. «L’attitude déloyale du gouvernement espagnol ébranle les éléments de la confiance entre deux partenaires et deux pays voisins», précise cette source diplomatique. «Il appartient au passé le temps où on pouvait résoudre une crise avec le Maroc à coups de tapes amicales sur les épaules. Le Maroc attend de l’Espagne des actes!», conclut ce haut responsable de la diplomatie marocaine.

Quand l’Europe situe ses frontières sud en AfriqueLa déferlante de migrants sur Sebta a eu le mérite de montrer que c’est le Maroc qui garde à 99,99% ce que les responsables espagnols et européens appellent «les frontières sud de l’UE». Ce qu'il s’est passé à Sebta rappelle le coût d’un voisinage avec l’Europe, contre-nature, en terre africaine. La crise migratoire rappelle aussi à l’Europe la taille du travail accompli chaque heure par le Maroc.

Les responsables européens, qui ont marqué leur solidarité avec l’Espagne, ont affirmé que les frontières de l’Espagne sont les frontières de l’Europe. Mais où se trouve Sebta? En Europe? Un petit rappel de l’Histoire ne ferait pas de mal aux Européens qui veulent déplacer leur frontière sud sur le continent africain.

Sebta est une ville marocaine, située au nord du Maroc, sur le continent africain. Cette ville a été militairement occupée par le Portugal avant d’être annexée par l’Espagne, en 1580, suite à la bataille de Oued el Makhazine (dite aussi Bataille des Trois rois), où le roi Sebastien 1er est mort sans laisser d’héritier au trône du Portugal. Depuis la fin du XVIe siècle, la ville de Sebta est maintenue sous occupation espagnole, en dépit de ce que coûte cette ville au gouvernement espagnol.

Dans son livre «Ceuta et Melilla: histoire, représentation et devenir de deux enclaves espagnoles» (L’Harmattan, 2005), l’historien Yves Zurlo a montré que l’Espagne allait rétrocéder Sebta et Melilla au Maroc, en 1811, parce que sortie exsangue de la guerre contre la France napoléonienne, elle ne pouvait plus assurer le ravitaillement aux deux villes marocaines qu’elle occupait. Un vote a même eu lieu à une majorité de voix pour rétrocéder les présides occupés au Royaume du Maroc contre des vivres. Mais les Britanniques avaient dissuadé les Espagnols de mettre fin à cette occupation.

Aujourd’hui encore, Sebta vit sous perfusion. C’est une enclave invivable, sans la contrebande avec le Maroc ou l’argent versé par Madrid et l’UE. D’ailleurs, un grand nombre de migrants marocains, qui ont rejoint Sebta à la nage, vivaient justement de la contrebande avec cette ville.

Quand la ministre espagnole de la Défense, Margarita Robles, qualifie, ce jeudi 20 mai 2021, sur une radio publique l’afflux de migrants en provenance du Maroc «d’agression à l'égard des frontières espagnoles mais aussi des frontières de l'Union européenne», elle situe les frontières sud de l’Europe sur le continent africain. Et quand les responsables de l’UE affichent leur solidarité avec l’Espagne pour les mêmes motifs, ils font leur ce vieux préjugé, instaurée par Isabelle la Catholique: l’Espagne doit maintenir une présence en terre d’Islam.

Par Mohammed Boudarham
Le 20/05/2021 à 11h26