Le roi Mohammed VI écrit lui-même ses discours

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Contrairement aux messages diffusés par-ci, par-là, le roi Mohammed VI ne confie pas à des «plumes» la rédaction de ses discours. Tenant à les écrire lui-même, il y consacre de nombreuses heures.

Le 04/06/2018 à 14h12

Paris, mardi 2 mai 2017, à l’Elysée. A quelques jours de la fin de son mandat, le président François Hollande invite Mohammed VI à un déjeuner convivial. Sont présentes à ce déjeuner des personnalités de la vie artistique, culturelle, sportive et une poignée d’hommes politiques. A table, Elisabeth Guigou, ancienne garde des Sceaux et députée PS, confie à Mohammed VI son admiration pour le discours qu’il a prononcé à Tanger le 21 août 2016, à l’occasion de la Révolution du roi et du peuple. Dans ce discours, le roi du Maroc, commandeur des croyants, a pris une position sans ambages contre les jihadistes qui tuent des innocents au nom de l’islam. Mohammed VI a notamment dit: «Les terroristes qui agissent au nom de l’islam ne sont pas des musulmans et n’ont de lien avec l’islam que les alibis dont ils se prévalent pour justifier leurs crimes et leurs insanités. Ce sont des individus égarés condamnés à l’enfer pour toujours.»

Intarissable d’éloges sur la teneur de ce discours, Elisabeth Guigou laisse entendre -avec des précautions rhétoriques- que plusieurs personnes ont dû prendre part à son élaboration. Mohammed VI répond: «C’est moi qui écris mes discours et celui que vous citez m’a pris beaucoup de temps!» Cet échange entre Mohammed VI et Elisabeth Guigou, nous le tenons de l’écrivain Tahar Ben Jelloun qui était présent au déjeuner. Il nous instruit sur un aspect peu connu du règne de Mohammed VI: le caractère studieux du roi du Maroc qui tient à écrire lui-même ses discours.

Contrairement à de nombreux chefs d’Etat, Mohammed VI ne recourt pas à des «plumes» pour composer ses allocutions. On a cité des noms, prétendant qu'untel ou tel autre étaient les rédacteurs des discours que prononce le souverain, mais ce ne sont là que pures fictions. D’ailleurs il existe des accents qui ne trompent pas sur le caractère personnel, voire intime de certains textes de Mohammed VI. En atteste le discours prononcé le 31 janvier 2017 au 28e sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. «Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé! L’Afrique est mon continent, et ma maison. Je rentre enfin chez moi, et vous retrouve avec bonheur. Vous m’avez tous manqué.» Difficile d’imaginer qu’une «plume» ait pu souffler au roi du Maroc des mots aussi personnels, aussi intérieurs, mettant à nu avec un lyrisme direct l’émotion des retrouvailles.

Discours de la méthodeLes discours que Mohammed VI prononce se divisent en deux catégories. Il y a les rendez-vous annuels et les discours ponctuels. Quatre discours obéissent à un calendrier fixe. Il s’agit de ceux de la fête du Trône, de la Révolution du roi et du peuple, de l’ouverture de l’année législative au Parlement et de la Marche verte. A côté de ces quatre rendez-vous pérennes, le roi du Maroc écrit des discours liés à des thématiques particulières, participant de sa vision du monde: en particulier la collaboration Sud-Sud, le développement durable et la protection de l’environnement. La participation du Maroc à des sommets rassemblant des chefs d’Etat, à l’instar de celui des pays du Golfe ou de l’Union africaine à Addis-Abeba, est également une occasion propice aux discours du souverain.

Tous les textes de Mohammed VI se caractérisent par une méthodologie qui rompt avec la langue de bois, qui nomme les maux, établit des diagnostics sans concession et apporte des solutions réalistes. Prenons l’exemple du discours prononcé par le roi du Maroc au Parlement le 13 octobre 2017. Après avoir établi le constat de dysfonctionnements dans l’administration, Mohammed VI affirme: «il importe d’assurer un suivi rigoureux et continu de l’état d’avancement des programmes sociaux et développementaux, et d’accompagner les travaux engagés en les soumettant à une évaluation régulière et intègre.» Ou encore: «Nous donnons nos orientations au gouvernement pour établir un échéancier rigoureux de parachèvement de la régionalisation avancée.» Le roi s’exprime comme un chef d’entreprise, un manager qui ne perd jamais de vue les objectifs à atteindre et pour qui le résultat non seulement compte, mais doit respecter un rétroplanning dûment établi.

En agissant de la sorte, Mohammed VI a réformé la façon dont un souverain s’adresse à la Nation. Il n’y a pas de paroles creuses, pas de fausses promesses, pas de maquillage du réel. Le roi aime nommer un chat un chat, exige de la rigueur, du professionnalisme et promeut une approche pragmatique dans la gestion des affaires. Il a établi une relation de plain-pied avec le peuple où la franchise est toujours de mise. La rigueur que le souverain appelle de ses vœux n’est pas antinomique avec l’esprit d’initiative, l’audace et l’inventivité. En atteste cet extrait: «Nous appelons tout un chacun à faire montre d’objectivité en appelant les choses par leur nom, sans complaisance ni fioriture, et en proposant des solutions innovantes et audacieuses; quitte à s’écarter des méthodes conventionnelles appliquées jusqu’ici, ou même, à provoquer un véritable séisme politique.»

Un roi studieuxRéfléchir, construire et coucher noir sur blanc ses idées, Mohammed VI aime le faire lui-même. Selon nos sources, le souverain consacre de nombreuses heures à cette tâche. «Le temps imparti à l’écriture d’un discours n’a jamais été dissuasif pour le roi Mohammed VI qui aime se consacrer dans la solitude à cet exercice qu’il affectionne depuis les premiers jours de son règne et auquel il ne s’est pas une seule fois soustrait. Il travaille d’ailleurs durement à l’écriture de ses textes», confie à le360 un proche du roi.

Homme d’action, le roi du Maroc privilégie les réalisations aux parades verbales. Ce qui pouvait laisser croire que Mohammed VI est un homme du faire et non pas du dire. Néanmoins, le roi est un familier du temps et du labeur nécessaires à l’élaboration des textes, depuis qu’il a rédigé son Doctorat en droit, intitulé «La coopération entre la Communauté économique européenne et l’Union du Maghreb arabe», et soutenu en 1993 du temps où il était prince héritier. Dans cette thèse, le futur roi du Maroc a décliné une approche à contre-courant de l’euphorie générale, consistant à «écarter d’emblée l’étude des relations bilatérales des pays de la CEE-pays du Maghreb». Trois ans plus tard, le quotidien français Libération salue en ces mots le bien-fondé de cette thèse: «on mesure la portée visionnaire de l'approche (de SAR Sidi Mohammed, ndlr): si la CEE a simplement changé de nom, l'Union du Maghreb arabe (UMA), quant à elle, n'existe plus que sur le papier».

Vingt-quatre ans plus tard, le roi Mohammed VI s’écrie en soupirant dans un discours prononcé à Addis-Abeba: «Hélas, l’UMA n’existe pas!» En écrivant ces mots, le souverain avait peut-être en tête ce qu’il avait déjà affirmé en 1993.

Par Aziz Bada
Le 04/06/2018 à 14h12