L'éclairage de Adnan Debbarh. France-Algérie, l'histoire commune réécrite à quatre mains

Adnan Debbarh.

Adnan Debbarh. . khalil Essalak / Le360

L’historiographie a été souvent utilisée par les politiques pour légitimer, justifier certaines décisions, quitte à prendre certaines «libertés» avec les faits. En demandant à la France de «réécrire ensemble» l’histoire commune, les dirigeants algériens confortent cette tradition et trahissent leurs craintes de révélations déstabilisantes.

Le 13/07/2022 à 16h02

Probablement que le jeune président Emmanuel Macron n’avait pas soupesé l’impact que ses propos sur la rente mémorielle et l’inexistence d’une nation en Algérie auraient sur ce pays et ses dirigeants. L’Algérie qui a surinvesti dans la production historiographique de la période 1954-62, pour des raisons politiques internes et externes évidentes, ne s’attendait pas à ce qu’on lui rappelle certaines vérités sur son histoire antérieure: la colonisation a beaucoup apporté économiquement à ce pays, considéré comme prolongement de la France, beaucoup plus qu’à la Tunisie et au Maroc; la lutte contre l’arrivée des Français a été le fait de tribus de l’ouest algérien attachées au Maroc, les tribus de l’est du pays sont demeurées apathiques; la longue occupation ottomane initiée par les frères Barberousse, pirates de leur état, au XVIe siècle, a tué dans l’œuf toute formation d’un esprit djihadiste national et par conséquent les rudiments d’un Etat-Nation.

La réception par Abdelmadjid Tebboune, il y a quelques jours, de l’historien français Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie, né dans ce pays, israélite, en tant qu’envoyé spécial du président français pour rabibocher les récits historiques communs de deux Etats, mal dans leur peau sur le thème, en dit long sur l’importance du sujet côté algérien. On aurait pu faire recevoir l’historien français, bien que porteur d’une missive d’Emmanuel Macron, par un comité scientifique. Au diable le formalisme, l’affaire est d’abord politique et doit être rapidement traitée au sommet.

Côté français, si l’objectif est d’éteindre la colère des irascibles dirigeants algériens, cela s’est fait au dépend d’une image de la France. Pays ayant donné naissance à l’Ecole des annales et ses talentueux historiens: Lucien Febvre, Marc Bloch et le grand Fernand Braudel, en n’oubliant pas le profond Paul Veyne. Qu’auraient-ils pensé de ce marchandage de bas étage où il est question au fond de brimer la recherche historique sur un sujet? Qu’en pensent les historiens algériens? Certes, on pourra toujours arguer que la France a écrit une histoire à quatre mains avec l’Allemagne, son ennemi historique. Ce n’est pas faire offense aux dirigeants algériens que leur dénier le même niveau intellectuel, voire la même honnêteté politique que les dirigeants allemands.

Car il s’agit au fond d’honnêteté. A défaut d’avoir une histoire à la hauteur de ses ambitions, on essaie de la remodeler. Les dirigeants algériens sont gourmands. Ils ne veulent pas uniquement traiter la période de la colonisation française 1830-1962, mais réécrire aussi l’histoire du Maghreb. Le but: s’octroyer le beau rôle au Maghreb, se placer comme l’acteur majeur de son histoire et justifier ses prétentions au statut de puissance régionale.

Seulement, il y a le Maroc, riche de son histoire, de son patrimoine et de sa culture. Détenteur de l’épaisseur historique de ses ambitions. Nullement impressionné par les vils arrangements politiques sur le dos de vérités historiques vérifiables.  

Par Adnan Debbarh
Le 13/07/2022 à 16h02