L'éclairage de Adnan Debbarh. L’Ethiopie, terrain de jeux sino-américain

Adnane Debbarh.

Adnane Debbarh. . Khalil Essalak / Le360

La guerre civile que connaît l’Ethiopie ces derniers mois menace son unité et risque de la ramener à la situation des années 80. On croyait qu'elle avait pris son envol. Malgré une guerre avec l’Erythrée voisine et plusieurs sécheresses, son économie grâce aux investissements étrangers, a connu à partir des années 2000 une croissance soutenue.

Le 22/11/2021 à 15h02

La désignation de Abiy Ahmed comme Premier ministre de l’Etat fédéral (l’Ethiopie est une fédération d’Etats basée sur l’ethnicité), en avril 2018 avait conforté l’espoir, surtout chez les Occidentaux, à leur tête les Etats-Unis, que le pays allait rééquilibrer ses alliances. Il faut dire que le personnage avait les qualités pour rassurer, issu de l’ethnie Oromos, marginalisée jusqu’alors malgré son poids démographique (28% de la population éthiopienne), jeune, de père musulman et de mère chrétienne. Cerise sur le gâteau, militaire, il a fait une partie de sa formation aux Etats-Unis dans les renseignements.

Les Américains portent depuis des lustres une attention particulière à la Corne de l’Afrique, non pour ses richesses naturelles, comme on pourrait d’emblée le penser, mais à cause de son positionnement géostratégique. Comprenant 4 Etats: l’Ethiopie, la Somalie, l’Erythrée et Djibouti au poids démographique inégal (respectivement 112 millions, 12, 4 et 1), au PIB faible (108 milliards de $, 5, 2 et 3.5), où coexistent plusieurs ethnies, plusieurs religions (chrétienne, musulmane, juive), la Corne de l’Afrique est le théâtre par intermittence de confrontations entre ses Etats et ses ethnies. A l’extrême pauvreté s’ajoutent la migration illégale, le terrorisme et la piraterie pour faire de cette région l’une des plus fragiles du monde en termes de sécurité. Or c’est par cette zone, Aden-Suez, que transite une part substantielle des produits manufacturés et du pétrole brut du globe, son contrôle et sa sécurité sont vitaux pour le commerce mondial.

Bien qu’ayant connu plusieurs déboires militaires dans la zone, les Américains ont fait en sorte d’assurer une présence permanente, la sécurité de leurs approvisionnements étant en jeu. Cette présence s’est avérée d’autant plus nécessaire après que la Chine a installée à Djibouti sa première base navale à l’étranger accompagnant cela d’investissements importants in situ et chez le voisin éthiopien. Les Américains ont très mal pris cette incursion chinoise et ont vite compris que l’Ethiopie, de par son poids économique et démographique, allait servir de rampe de lancement et de vitrine aux investissements chinois en Afrique. Les dirigeants éthiopiens, quant à eux, en quête d’investisseurs étrangers peu regardants sur leurs affaires internes, ont accueilli à bras ouvert les Chinois qui ont fait de belles réalisations. Voie ferrée, aqueducs, électrification, siège de l’Union africaine marquent la présence chinoise en Ethiopie, à côté de véritables zones industrielles de production d’articles textiles et cuir.

L’administration américaine a cru avoir trouvé en Ahmed Abiy, l’homme qui allait modérer les appétits chinois. Ils ont alloué une aide annuelle de 1 milliard de $ au gouvernement éthiopien et ont laissé les produits de ce pays entrer aux Etats-Unis en franchise de douane. Mais le dirigeant éthiopien, dans une volte face surprenante, fort d’un accord de paix signé avec l’Erythrée, d’un prix Nobel et du soutien de la population pour attitude ferme à l’égard de l’Egypte sur le barrage de la Renaissance, a déployé une politique souverainiste bannissant l’approche ethnique et faisant appel au nationalisme, tout en renforçant ses relations avec la Chine et la Russie. S’en était trop pour les Américains qui ont suspendu l’aide directe, bloqué l’entrée de produits éthiopiens en franchise de douane, proposer une résolution au Conseil de sécurité sur la guerre du Tigré.

Les Etats-Unis ont-ils changé de méthodes? La guerre civile en Ethiopie suscite des interrogations. Comment un pays disposant de la 7e armée d’Afrique se retrouve du jour au lendemain vaincu par une guérilla qui déclare ne pas bénéficier d’appuis externes? Le doute est permis. Israël, très présent dans le Tigré où habitent encore des falashas, soutient-il avec le Sud Soudan les rebelles tigréens avec la bénédiction des Etats-Unis? Dans ce cas, est-ce une mise en garde des Occidentaux à la Chine pour modérer sa présence en Afrique et à ses alliés? Jusqu’à présent la Chine, à part un soutien à Addis Abeba au Conseil de sécurité, ne semble pas chercher la confrontation dans cette région et évite l’ire américaine.

Le Maroc est doublement concerné par ce qui arrive en Ethiopie. Il y a un investissement projeté de 3.5 milliards de $ dans le domaine des engrais avec l’OCP qui sera probablement retardé. Il y a aussi une grosse interrogation sur les critères de sélection des investisseurs chinois qui tardent à venir au Maroc. La rentabilité, la capacité de remboursement et la stabilité politique ne sont-elles pas prises en compte? Comment expliquer que la Chine a investit 14 milliards de $ à Djibouti, soit 4 fois le PIB de ce pays.

Par Adnan Debbarh
Le 22/11/2021 à 15h02