Maroc: une diplomatie au pas de charge

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueDepuis deux semaines, la diplomatie marocaine enregistre un rythme particulier, mené à un «train d’enfer». Une diplomatie active, avec des principes et des positions sans ambiguïté, qui définit, assume et endosse la place et l’influence du Royaume dans de nombreuses enceintes de la scène internationale.

Le 07/03/2024 à 10h58

Depuis deux semaines, comment ne pas voir que la diplomatie marocaine enregistre un rythme particulier, accéléré, mené à un «train d’enfer». Qu’on en juge: participation à la conférence ministérielle de l′Union africaine à Addis-Abeba (17-18 février), visite du ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné (26 février), présidence du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU par Nasser Bourita, à Genève (27 février), présidence de la session ONU-Environnement à Nairobi (1er mars) et participation à la session ministérielle du Conseil de coopération du Golfe à Ryad (3 mars). Une diplomatie active, visible et lisible, avec des principes et des positions sans ambiguïté. Un capital engrangé depuis de nombreuses années par le leadership royal et une vision éclairée qui définit, assume et endosse la place et l’influence du Royaume dans de nombreuses enceintes de la scène internationale.

Lors du 27ème Sommet de l’Union africaine (UA), les 17 et 18 février, le Maroc a instamment invité à prendre en charge de manière plus attentive les enjeux réels du développement du continent. Il faut noter, dans cette même optique, que l′UA n’a pas abordé la question du Sahara, absente de l’ordre du jour des travaux. Prévaut ainsi le souci général de s’atteler aux grandes questions et non pas à des conflits artificiels qui nuisent aux efforts collectifs. C’est là l’échec de manœuvres de pays comme l’Algérie ou l’Afrique du Sud et de quelques autres qui se sont échinés, des années durant, à décrocher le dossier du Sahara marocain des Nations unies pour y impliquer, d’une manière ou d’une autre, l’organisation continentale. Celle-ci, rappelons-le, a tranché voici près de six ans, lors du sommet de Nouakchott en juillet 2018, avec l’adoption de la résolution 693 sur la compétence exclusive des Nations unies. L’UA fait montre aujourd’hui de maturité politique. Elle se conjugue avec une volonté collective de se mobiliser sur des enjeux globaux de coopération et de développement: santé, éducation, infrastructures, développement durable, intégration, changement climatique, etc.

Avec la visite du chef de la diplomatie française, le lundi 26 février dernier, c’est la normalisation des relations bilatérales qui était à l’ordre du jour. Celles-ci ont pâti de multiples tensions au cours des deux années écoulées (affaire du logiciel espion «Pegasus» et la mise en cause de Rabat, réduction de moitié des visas accordés aux Marocains en septembre 2021, implication présumée dans le «Marocgate» au Parlement européen, etc.). Le Maroc a géré tout cela en attendant de Paris, par ailleurs, la réévaluation de sa position sur le Sahara marocain, dossier qui était le prisme d’appréciation de ses relations avec ses partenaires traditionnels ou autres. Des «petits pas» ont été laborieusement faits par le Quai d’Orsay et l’Élysée: levée des restrictions des visas; explication de vote de l’ambassadeur français au Conseil de sécurité, le 30 octobre dernier, lors de la délibération de la résolution 2703 réitérant le soutien constant et historique au projet marocain d’avril 2007 et appelant à «avancer»; campagnes médiatiques de l’ambassadeur français à Rabat explicitant cette même position; engagement personnel du nouveau chef de la diplomatie Stéphane Séjourné à améliorer les relations bilatérales; désignation d’une ambassadrice à Paris le 13 octobre; diplomatie familiale enfin avec le déjeuner offert par Brigitte Macron aux trois princesses royales, Lalla Meriem, Lalla Hasna et Lalla Asmae à l’Élysée, le lundi 19 février.

De quoi aider à créer un climat. C’est sur ces bases-là qu’est intervenue la visite de Stéphane Séjourné. A-t-elle porté ses fruits? Les deux responsables de la diplomatie française et marocaine se sont rencontrés pour la première fois. L’entretien a duré une heure et 45 minutes. «Il a été franc», dit-on. La volonté partagée de rehausser les relations entre les deux pays a été réaffirmée. Est même annoncée la volonté de les «refonder» sur trente ans. Reste la question nationale: Paris parle d’«avancer» -formulation convenue depuis six mois, mais encore… Une position de retenue qui ne peut rester figée dans un palier de normalisation a minima.

Avec la réunion de Genève, le mardi 27 février, du segment de haut niveau de la 55ème session du Conseil des droits de l’Homme (CDH), le Maroc a fait entendre sa voix et réitéré ses positions. Cette institution spécialisée de l’ONU est présidée par le Royaume depuis le 10 janvier dernier pour un mandat d’une année -après son élection avec une majorité de 30 voix contre 17 pour le candidat sud-africain. Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, y a participé en lieu et place de son collègue de la Justice, Abdellatif Ouahbi, pour bien mettre en relief l’action diplomatique du Maroc. Il a rappelé l’engagement de Rabat dans l’amélioration des mécanismes de protection des droits humains, et a appelé à la tenue d’une session extraordinaire pour débattre des défis actuels en matière de droits de l’Homme. Il a encore proposé l’évaluation de l’efficacité du Conseil avec des recommandations pratiques, et a enfin proposé le lancement d’une initiative, avec les partenaires, pour le renforcement du rôle des femmes dans la diplomatie des droits humains. Des propositions qui participent de l’importance que le Royaume accorde à «l’innovation et à l’inclusion dans le domaine des droits humains».

Le Conseil a engrangé des acquis et des réalisations malgré certains défis qui pèsent encore sur l’optimisation de son action. Référence est faite, à cet égard, à des tentatives d’instrumentalisation de certaines questions. Lesquelles? Le détournement de ce CDH de ses objectifs, et ce, au service d’agendas étrangers aux droits de l’Homme. Nasser Bourita a ainsi plaidé pour un retour aux valeurs de coopération et de dialogue: «Nous devons renforcer la crédibilité et l’efficacité de notre système bilatéral pour faire face à ces défis», a-t-il insisté. Pour ce qui est de la situation à Gaza, le ministre a souligné que c’était aujourd’hui «une crise inédite et une catastrophe humanitaire que la communauté internationale ne peut plus continuer d’ignorer». D’où l’appel de SM le Roi Mohammed VI, en sa qualité de Président du Comité Al-Qods, pour un «sursaut de la conscience humaine pour que cesse le massacre de vies humaines». La position du Maroc est claire, ferme et constante: arrêt immédiat, global et durable de la guerre israélienne, garantie de la protection des civils, acheminement fluide et continu des aides humanitaires en faveur de la population, protection des Palestiniens contre l’exil forcé et, enfin, mise en place d’un horizon politique réactivant la solution des deux États, avec un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Al Qods-Est comme capitale.

Le vendredi 1er mars, c’était un autre agenda continental, avec la 6ème Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE), tenue à Addis-Abeba, dans le cadre de l’Assemblée ONU-Environnement. Le Maroc, élu pour un mandat de deux ans depuis mars 2022, a présidé cette session et souligné lors de ces assises son engagement à travailler avec la CMAE pour répondre aux aspirations environnementales de l’Afrique par la voix de Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable. Cette position du Maroc se fonde sur la nécessité de renforcer l’engagement des États africains. Elle se décline autour des principes suivants: sécurisation des métaux et des minerais nécessaires à la transition vers la neutralité carbone, meilleure protection de l’environnement pendant et après les conflits, lutte contre les produits chimiques, les déchets, les tempêtes de sable et de poussière, restauration de la nature et des sols, endiguement de la pollution, priorisation des actions au profit des communautés les plus vulnérables, etc. Sur toutes ces questions, le Maroc se distingue par la place accordée à l’environnement, qui est au coeur de sa politique de développement. Ce modèle s’inscrit dans une perspective de durabilité où l’être humain est la cible principale. Une stratégie qui vise et ambitionne une transition vers une économie verte et inclusive d’ici 2030 (plus de 52 % d’énergie renouvelable, réduction des émissions de gaz à effet de serre, protection de la biodiversité).

Dimanche 3 mars, le Maroc, représenté par Nasser Bourita, participe à la 159ème session ministérielle du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Avec les six monarchies de cette région, le Royaume entretient des relations historiques et traditionnelles connues, marquées du sceau de la solidarité et de la fraternité. C’est le seul pays éligible à cette qualité et à ce rang avec cette institution. Il faut rappeler à cet égard qu’un sommet Maroc-CCG avait été organisé à Ryad, voici huit ans. À cette occasion, SM le Roi avait prononcé un discours historique, fondateur d’une doctrine de la politique étrangère du Maroc: solidarité de sécurité et de défense, coopération et partenariat stratégique. Les pays du CCG ont réaffirmé leur soutien constant à la marocanité du Sahara, leur attachement ferme à la souveraineté du Maroc et à son intégrité territoriale ainsi que leur appui aux décisions de l’ONU. Ils ont également salué l’Initiative africaine atlantique de SM le Roi, devant renforcer la coopération entre les États du Sahel et ceux de la façade atlantique. Le Maroc a enfin, lors de cette réunion, condamné et dénoncé la politique d’agression israélienne à Gaza avec la nécessité pour la communauté internationale de prendre les mesures appropriées pour y mettre fin.

Une présence sur tous les fronts et dans toutes les instances. Un vecteur d’influence et de rayonnement.

Par Mustapha Sehimi
Le 07/03/2024 à 10h58