Normalisation: l’Algérie va-t-elle répondre à la main tendue par le roi Mohammed VI?

Discours royal commémorant la Marche Verte, le 6 novembre 2018. 

Discours royal commémorant la Marche Verte, le 6 novembre 2018.  . DR

Dans son discours marquant le 43e anniversaire de la Marche Verte, le roi Mohammed VI appelle l'Algérie à un dialogue «direct et franc» et propose la création d'un «mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation» pour «dépasser les différends» entre les deux pays. Alger réagira-t-elle?

Le 07/11/2018 à 14h00

L’appel (ou le rappel) est sincère, et balise le terrain pour, enfin, une normalisation des relations entre le Maroc et l’Algérie. Il émane du roi Mohammed VI qui, dans son discours marquant le 43e anniversaire de la Marche Verte, a plaidé hier, mardi 6 novembre, pour un dialogue «direct et franc» et proposé la création d'un «mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation» pour «dépasser les différends» entre les deux pays.

En perspective, des liens apaisés, des frontières rouvertes, des peuples unis et, surtout, la fin d’une escalade à la facture très chère: dépenses militaires aussi inutiles qu’évitables, ratage d’opportunités de coopération économiques, muraille dressée entre deux peuples que tout lie. Le message du souverain est on ne peut plus clair. «Je déclare aujourd’hui la disposition du Maroc au dialogue direct et franc avec l’Algérie sœur», a souligné le souverain. Et le mécanisme proposé par le roi «devra s’engager à examiner toutes les questions bilatérales, avec franchise, objectivité, sincérité et bonne foi, sans conditions ni exceptions, selon un agenda ouvert», précise le souverain.

Ce n’est pas la première fois que le souverain prend l’initiative et tend la main à l’Algérie. Déjà, en juillet 2011, dans son discours du Trône, le roi Mohammed VI avait appelé à la réouverture des frontières terrestres avec l'Algérie, fermées depuis 1994, et à une normalisation totale des relations entre ces deux voisins du Maghreb.

«Nous tenons à l'amorce d'une nouvelle dynamique ouverte sur le règlement de tous les problèmes en suspens, en prélude à une normalisation totale des relations bilatérales (...), y compris la réouverture des frontières terrestres», avait-t-il déclaré, expliquant que «cette démarche exclut tout immobilisme ou ostracisme incompatible avec les liens de bon voisinage, l'impératif d'intégration maghrébine et avec les attentes de la communauté internationale et de notre espace régional», avait poursuivi Mohammed VI.

Réagissant, ce mercredi, au discours royal prononcé à l'occasion du 43e anniversaire de la Marche Verte, le chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, a estimé que le Maroc tend une nouvelle fois la main à l'Algérie, et a espéré que celle-ci répondra positivement. «Le climat dans l'espace maghrébin n'est pas sain», a déploré, en substance, Saâd Eddine El Othmani. Car si quelques signes de rapprochement se sont de temps à autre fait sentir, aucune solution durable n’a encore été trouvée.

L’espoir est que cette fois-ci soit la bonne. Et tout porte à croire que si accord il y a, le mécanisme, que le souverain appelle de ses vœux, prendra la forme d’une commission mixte que devront chapeauter les ministres des Affaires étrangères des deux pays respectifs, en fixant les sujets à traiter et un échéancier de travail commun. Une chose est sûre: entre les deux pays, il n’y aura pas d’intermédiation d’un pays tiers.

En attendant, l’appel royal fait l’unanimité au Maroc. Dans une déclaration à Le360, le chef du gouvernement Saâd Eddine El Othmani dit espérer que l’appel royal sera entendu par le voisin de l’Est. «L'espace maghrébin vit une situation de division et les relations entre les deux pays ne sont ni naturelles ni acceptables. Il nous faut avancer, pour le bien de nos deux pays et de nos deux peuples frères», nous a-t-il déclaré. De surcroît, cet appel intervient après que le Maroc et l’Algérie ont accepté de s’assoir autour d’une même table. Ce sera les 5 et 6 décembre prochains à Genève, pour discuter de «l'avenir du Sahara» comme le souhaite Horst Köhler, Envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies. Serait-ce là un bon début? L’espoir est permis.

A l’heure où nous mettions en ligne, l’Algérie n’a toujours pas réagi officiellement au message royal. On retiendra cependant les premières réactions des médias de ce pays qui saluent la tonalité positive du discours royal.

«Les autorités algériennes sont tenues d’apporter une réponse, que nous souhaitons favorable. D’autant qu’elles sont sous pression. D’abord parce que la dernière résolution de l’ONU a clairement pointé Alger comme partie prenante au conflit sur le Sahara. Ensuite, parce que l’appel du souverain est adressé non seulement au régime, mais aussi au peuple algérien», nous explique Moussaoui Ajlaoui, politologue et universitaire. Il fut d’ailleurs un temps où l’Algérie avait fait un pas vers le Maroc, en proposant un dialogue excluant la question du Sahara. Toute la question, à présent, est de savoir si ce pays va rester sur cette même position.

En tout état de cause, les énormes dégâts engendrés par la situation de blocage actuelle sont de notoriété publique. Du fait de leurs différends, les deux pays mènent une véritable course à l’armement au détriment de secteurs autrement plus vitaux. Le dernier rapport SIPRI sur les dépenses militaires dans le monde classe l’Algérie comme le plus grand importateur d’armes en Afrique avec 10,1 milliards de dollars gaspillés pour la seule année 2017. Bien qu’ayant déboursé trois fois moins que son voisin, le Maroc a néanmoins investi 3,4 milliards de dollars sur ce registre cette année-là. Alors que ses vrais besoins sont ailleurs…

Il y a aussi le coût du non-Maghreb qu’entraîne la crise entre les deux voisins. Si l’Union maghrébine existait, elle aurait fait gagner aux cinq pays une valeur ajoutée annuelle de l’ordre de 10 milliards de dollars par an, soit l’équivalent de 5% de leurs produits intérieurs bruts cumulés, nous informe une étude de la Direction des études et des prévisions financières (qui dépend du ministère marocain des Finances). C’est dire!

Par Mohamed Chakir Alaoui et Tarik Qattab
Le 07/11/2018 à 14h00