"Panama Papers": la preuve du caractère public des deux biens du roi

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La citation du roi dans Panama Papers est décidément tellement vendeuse que le journal Le Monde et à sa suite un site local se permettent approximations et sensationnalisme sur la base de données publiques. Preuve par les documents et relevé des erreurs et contrevérités.

Le 07/04/2016 à 19h16

Lundi 5 avril, au lendemain des premières révélations de Panama Papers, le quotidien français Le Monde publie un premier article intitulé «Maroc : Mohammed VI aime les îles Vierges». Titre bien racoleur… mais qui ne coiffe aucune révélation.

Car, contrairement à ce que l’on a lu sur d’autres personnalités citées dans le scandale de ces «fuites», l’article consacré par le quotidien français au Maroc ne nous apprend rien que l’on ne savait déjà.

Le360 avait écrit le 7 mars que les deux biens qui font l’objet d’un article dans Le Monde sont publics et consultables par tout un chacun. Nous avons tenté une nouvelle fois l’expérience de consulter nous-mêmes les documents, objets des investigations du consortium de journalistes, et le résultat est plus qu’éclairant. Tout, absolument tout, peut être obtenu moyennant quelques clics. La preuve. 

Orion SA, une entité pas si discrète que celaPour obtenir des informations sur des entreprises qui se sont installées au Luxembourg, ainsi que leurs registres de commerce, il suffit d’aller sur le site www.rcsl.lu. En y allant, il convient soit de rentrer le nom de la société, soit le nom d’une personne (un administrateur par exemple) pour disposer des documents liés à la société Immobilière Orion SA.

Capture d'une fiche d'immatriculation d'immobilière Orion disponible sur le registre de commerce du Luxembourg

Les documents, relatifs à la société Immobilière Orion SA, présentés par Le Monde comme des découvertes extraordinaires, sont consultables. On y apprend d’ailleurs que Mounir El Majidi et Mohcine Benyagoub ont été des administrateurs de la société jusqu’au 26 juillet 2011, avant d’être remplacés par d’autres administrateurs.

Les noms de Mounir El Majidi et Mouhcine Benyagoub figurent bien dans des documents téléchargeables

Même les PV des assemblées générales ordinaires et extraordinaires tenues avant cette date (qui sont tout aussi accessibles au grand public) portent leurs signatures. Visiblement, il n’y avait rien à cacher. 

En juillet 2011, l'AGE de la société valide la démision des deux administrateurs marocains

Le Broglie, ce joyau de la monarchie… qui ne lui appartient pas !Immobilière Orion a bien détenu un bien immobilier à Paris. Celui-ci était enregistré dans les comptes de la société au titre des exercices 2007 et 2008 avec une valeur comptable de 18,6 millions d’euros. Ces mêmes comptes, eux aussi consultables en ligne, révèlent que la société payait environ 24.800 euros d’impôts et taxes (hors impôts sur les résultats). Ce qui démontre que le bien en question était parfaitement déclaré à l’administration fiscale française.

Extrait d'un bilan de la société téléchargé sur le site du registre de commerce

Dans sa précipitation à s’arrimer au train des investigations, le desk.ma, site marocain dirigé par Ali Amar, fait dans les déductions hâtives. En se basant sur une information publiée par le quotidien français selon laquelle le bien acquis par Immobilière Orion SA se situe près des Invalides, le site de Ali Amar a jeté son dévolu sur l’hôtel particulier Le Broglie et en a attribué la propriété à Mohammed VI.

Plus drôle: avec la technique copier/coller, ce site a puisé sur Google des informations qui retracent l’historique de ce bâtiment, en louant ses qualités architecturales, allant jusqu’à citer des extraits du roman «Le Rouge et le Noir», dont l’auteur Stendhal se serait servi du Broglie pour la description de la maison de l’un des personnages clés. Tout cela est très romanesque, sauf que l’heureux propriétaire de l’hôtel de Broglie n’est pas le roi Mohammed VI.

Quand il s’est rendu compte de son erreur, ledesk.ma a publié un «disclaimer», mais il explique qu’il ne supprime pas l’article en question parce qu’il contient des «informations de fond », sur cet autre «patrimoine immobilier royal».

Que l’on suive un peu le cheminement de ce site: ce n’est pas exactement le Broglie qui est concerné par la société Orion, mais compte tenu du fait que ce prestigieux hôtel particulier est tout de même propriété du roi du Maroc, on maintient l’article en question. Ce qui est encore une fois archi-faux.

Il aurait suffi de quelques recherches sur ce même Google pour savoir que Le Broglie appartient à l’Etat français. Sur le site du ministère de l’économie en France, on lit bien que ce n’est que cette année que le gouvernement français prévoit de le mettre en cession. Une fiche de présentation de l’hôtel, qui est disponible sur la même page web, précise bien qu’« il est aujourd’hui occupé par le Gouvernement français».

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Une photo de l'hôtel de Broglie qui montre bien qu'il s'agit d'un édifice officiel

Donc, le bien dont la paternité a été attribuée par ledesk au roi du Maroc est un bâtiment administratif où se rendent tous les jours ouvrables des fonctionnaires français pour travailler.

Et on n’en est pas à une approximation près dans les informations relatives au bien appartenant au roi à Paris. ledesk a commis un deuxième article fondé sur la même technique : copier/coller. Cette fois-ci, ce n’est pas Broglie qui sert de mot clé à la recherche, mais le nom de l’architecte d’intérieur Pierre Yovannovitch. Et on se lâche sur la carrière de cet architecte, «un apôtre de la dissonance qui n’a pas peur de la faute de goût ». Tout cela est encore une fois très beau, sauf que ça relève de la fumisterie.

Car ce qu’il fallait dire, c’est que les travaux de rénovation, relayés également par Le Monde en se basant sur « des fuites» de permis de construire, sont postérieurs à la cession du bien en question par Immobilière Orion SA. S’il détenait des copies de ces permis, qui sont d’ailleurs accessibles auprès des services de la mairie de Paris, comment ne serait-il pas rendu compte que ce bâtiment a été vendu par le roi du Maroc.

L’autorisation du permis des travaux à laquelle fait référence Le Monde, et dans son sillage ledesk, est postérieure à la cession du bien. Donc le long article du desk consacré à Pierre Yovannovitch, architecte d’intérieur de génie, se réfère au nouvel acquéreur de cet hôtel particulier – qui n’est pas Mohammed VI.

Boughaz 1, un voilier secret, connu de tousPour ce qui est du trois-mâts Boughaz 1, là encore toutes les informations sur l’historique de ses propriétaires, sur les noms qui lui ont été donnés ou encore les pavillons qu’il a portés sont disponibles chez les sites spécialisés dans le domaine maritime. Le site de la Navy va, par exemple, très loin en retraçant l’histoire du Boughaz 1 depuis 1930, alors qu’il portait encore le nom du «Black Douglas».

Document de la Navyr retraçant l'historique du Boughaz 1 et un autre de la Maritime Coastguard Agency qui confirme l'achat du voilier par la SMCD

Sur ce même site, the «The King Mohammed VI of Morocco» est nommément identifié comme étant le propriétaire de la goélette, avec en prime une estimation de sa valeur d’achat. Donc, il suffit d’associer le nom du roi à celui du trois-mâts pour trouver sur Internet toutes les informations, maquillées en trouvailles.

MCA confirme qu'il n'est plus enregistré chez elle depuis 2006

Ceci sans parler bien entendu des Marocains habitués des plages du nord du royaume où le Boughaz 1 reste en rade pendant de longues semaines en été. Plusieurs personnes en ont même profité pour prendre des photos avec le souverain.

SMCD et Alliances, la belle découverteLe nom de SMCD Ltd apparaît dans le capital d’Alliances. C’est en voyant son nom apparaître sur une note d’informations d’Alliances Immobilier, groupe coté à la Bourse de Casablanca, (une note disponible sur le site de l’ex-cdvm), que ledesk.ma en a déduit que le souverain est actionnaire de la société. Les informations publiées par ce site ont ensuite été reprises par Le Monde.

Le Monde reproche à Le360 de s’être tiré une balle dans les pieds en anticipant sur les données publiques dont il voulait faire un scoop. Pourquoi cette information se serait-elle retournée contre nous ? Si notre site a soulevé un problème lié à un dysfonctionnement de la bourse ou au syndicat de placement de Alliances, cela ne nous pose aucun problème. Car nous ne traitons pas des informations avec des objectifs préétablis. Nous partageons avec nos lecteurs les informations véridiques dont nous disposons, sans calcul, ni à des fins de pression sur certaines parties.

Participe du même principe d’approximation, le fait de lier un actionnaire de Le360 au secrétaire particulier du roi. La raison selon Le Monde: «Aziz Daki est notoirement très proche de Mounir Majidi, qui l’a recruté comme directeur artistique et porte-parole du Festival Mawazine, le plus grand événement musical organisé annuellement à Rabat.» Parce que Aziz Daki est directeur artistique de Mawazine que présidait Mounir El Majidi (2007-2015), il en serait très proche !

Un raccourci indigne de journalistes travaillant dans un quotidien de référence et qui en dit long sur l’aveuglement dont on peut faire preuve quand on cherche par tous les moyens à établir des connexions. Avec cette pratique du journalisme de réclame et les raccourcis faciles, certains journalistes du Monde ruinent la réputation de ce quotidien. Une réputation déjà ébranlée. Le 4 juillet 2012, à quelques jours de la fête nationale algérienne, Alger s’est payé un supplément de 16 pages dans Le Monde qui aurait coûté la bagatelle de 1.5 million d’euros. A cette époque, la Société des rédacteurs du Monde avait vivement protesté contre la publication de ce spécial dithyrambique pour Abdelaziz Bouteflika.

Par Younes Tantatoui et Aziz Bada
Le 07/04/2016 à 19h16