Remaniement. Que sont devenus les ministres débarqués du gouvernement?

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Finis les feux de la rampe, les voitures officielles rutilantes, les armées de collaborateurs et de "cabinards". Dure est la vie d’un ex-ministre, mais pas pour tout le monde. Voici comment chacun essaie de rebondir et d'occuper ses journées.

Le 01/12/2019 à 16h10

«Avant, on lui tenait la portière à sa descente de la voiture officielle, les forces de sécurité se mettaient au garde-à-vous et des collaborateurs se pliaient en quatre pour éviter les foudres de Son Excellence M. le Ministre», ironise ce proche d’un ancien ministre pour rendre compte du désarroi qui s’est emparé de certains responsables lesquels, du jour au lendemain, sont (re)devenus des citoyens lambda. Enfin, presque, puisqu’on garde toujours le titre d’ancien ministre, et que certains, par excès d'obséquiosité ou par respect, continuent à vous servir du «M. le Ministre» à tout bout de champ.

La réalité est pourtant têtue. Voire dure. Comme pour les 21 ministres et secrétaires d’Etat (respectivement 9 et 12) qui ont été débarqués lors du remaniement du 9 octobre dernier. «Vous savez, quand on a quitté de telles fonctions, on a d’abord besoin de repos et de temps pour pouvoir y voir plus clair», déclare cet ex-ministre du gouvernement El Othmani I. Une manière diplomatique de contourner la question quant à ce qu’il s'apprête à faire de ses journées et de sa vie. D’autres, ou à tout le moins leur entourage, ont quant à eux accepté de jouer le jeu, sans cependant se montrer un peu trop bavards.

La CMR, le hizb et Facebook«Je suis sur un projet personnel qui n’a rien à voir avec le parti», nous avoue Mustapha El Khalfi, ex-ministre chargé des Relations avec le Parlement et ex-porte-parole du gouvernement. Il ne veut pas en dire plus, mais des sources interrogées précisent qu’il est en train de mettre en place un centre de recherches (un think tank). Car la recherche a toujours été l’élément naturel dans lequel baignait cet ancien ministre issu du PJD. En attendant, il se trouve actuellement, pour une durée de dix jours, en Chine (avec une délégation de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux -FMEJ) pour prendre connaissance de l’expérience de ce pays en matière de médias!

Pour les autres ex-ministres également issus du PJD, ils étaient pratiquement tous déjà à la retraite, avant qu'il n'intégrent le gouvernement. C’est le cas de Lahcen Daoudi, mais aussi de Mohamed Yatim, de Bassima Hakkaoui et de Mohamed Najib Boulif. Pour la plupart, ils ont opté pour le fait de rester dans l’ombre, bien que toujours au service de leur parti. Le nouveau temps libre qui est le leur permet surtout à Mohamed Yatim et à Najib Boulif d’inonder Facebook de posts défendant les idées prônées par leur formation politique.

«Ne pas reprendre d’activité, surtout dans le public, est une question de prestige. Un cadre du ministère de l’Education, devenu ministre à son tour, serait mal dans sa peau s’il redevient le subordonné d’un autre ministre, fussent-ils du même parti politique», explique un connaisseur des arcanes gouvernementales.

Mais il y en a un qui fait exception. Khalid Samadi, ex-secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, a été repêché par Saâd Eddine El Othmani qui l’a réintégré dans son armée de conseillers, à la présidence du gouvernement. Car, pour ceux qui ne le connaissent pas, ce docteur ès-études islamiques, et ancien prédicateur sur 2M, était membre du cabinet d’El Othmani, avant de devenir secrétaire d’Etat.

Il y a aussi Mohamed Aujjar, ex-ministre de la Justice, qui s’est littéralement éclipsé de la scène politique. Il ne participe même plus aux réunions du bureau politique du RNI, son parti, ni aux meetings régionaux et locaux de ce parti présidé par Aziz Akhannouch. Mauvais perdant, en pleine bouderie? Des sources au sein du RNI rectifient et expliquent que M. Aujjar a des soucis de santé.

Il y en a, parmi ce lot, qui boude pour de bon: c'est Anas Doukkali, l'ex-ministre de la Santé, qui s’est, quant à lui, carrément fâché avec son parti, le PPS, quand le bureau politique de celui-ci a pris la décision de se retirer du gouvernement. «Il est xxclu du PPS, nous n’avons plus de nouvelles de lui. Je ne pense surtout pas qu’il va reprendre son poste d’enseignant universitaire», affirme un membre de la direction du parti dirigé par Nabil Benabdallah. Une question de prestige, on vous dit!

Son (désormais ex) camarade du parti, Abdelahad Fassi-Fihri (à la tête de l'Habitat et de l'urbanisme sous El Othmani I) compterait, quant à lui, se lancer de nouveau dans le consulting. Bardé de diplômes, il était patron d’un bureau d’études spécialisées en management public, en plus de ses compétences d’expert auprès de plusieurs prestigieuses institutions internationales. Même à 65 ans, Abdelahad Fassi-Fihri ne risque pas de chômer. Et il le risque d'autant moins dans son parti, que les programmes électoraux de celui-ci ont toujours porté sa précieuse patte, notamment sur le volet économique.

Ma commune, mon refugePeu d’entre vous se souviendront de Fatna Lekhil, de Mohamed El Rherrass, ou alors de Hammou Ouhelli. Ces trois-là ont été secrétaires d’Etat (au nom de Mouvement populaire) dans le gouvernement El Othmani I, et tous trois ont "sauté" lors du remaniement du 9 octobre dernier. En revanche, vous avez sans doute retenu le nom d’un certain Mohamed Laârej, qui se trouvait à la tête du ministère de la Culture et de la communication. Le nom ne vous est pas inconnu, c'est sans doute à cause de la réputation peu flatteuse laissée par ses bilans, contestables, à la tête de ces deux départements. 

Le sieur Laârej tarde à regagner son poste de professeur universitaire dans une matière ayant trait au droit, à Fès, où il avait même dirigé un master avant d'être nommé en tant que ministre. «Par contre, il reste membre du Bureau politique, ès-qualité, comme les autres anciens responsables gouvernementaux», indique, ulcéré, ce membre de la direction du Mouvement Populaire. 

Les autres secrétaires d’Etat ont des solutions de repli: les communes qu’ils président depuis le scrutin communal et régional de septembre 2015. Car, contrairement à l’impossible cumul entre un mandat de député et celui de ministre, la législation nationale permet d’assumer en même temps les fonctions de ministre et d’élu (ou de président) de commune.

Du coup, Fatna Lekhil (qui a été médecin jusqu'à sa mise en retraite) va se consacrer pleinement à la commune qu’elle préside, Arbaoua dans la région de Kénitra.

Idem pour Hammou Ouhelli, quant à lui vétérinaire à la retraite, et ex-gérant d’exploitations agricoles dans le Moyen Atlas. Il va reprendre, pour de bon, les rênes du conseil provincial d’Ifrane. 

Quant à Mohammed El Rherrass, ex-secrétaire d’Etat à la Formation professionnelle, il s'investit dans sa commune de Ben Mansour, près de Kénitra. A l’approche des élections, le Mouvement Populaire compte beaucoup sur ces figures pour se maintenir dans la course.

Et pour vivre?

Selon diverses sources, un ancien ministre a droit à une pension de retraite. des mensualités de l'ordre de 39.000 dirhams nets lui sont reversés à la condition qu'il n'exerce aucune autre activité rémunérée. Dans le cas contraire, il perçoit la différence entre son traitement de ministre en exercice et des émoluments qu’il perçoit. Les secrétaires d’Etat, eux, ont droit selon la même méthode de calcul, à des mensualités de 29.000 dirhams nets.

Rappelons enfin que dès qu’ils ne sont plus aux commandes des manettes gouvernementales, les ministres perçoivent un précieux pécule, qui correspond à l'équivalant de près de 10 mois de leur salaire de ministre.

Par Mohammed Boudarham
Le 01/12/2019 à 16h10