Serait-ce le début de la fin de l'islam politique au Maroc?

En janvier 2015, un groupe du Comité commun de défense des détenus islamistes manifeste sous le thème «Nous ne sommes pas Charlie Hebdo», après l’attentat contre le journal satyrique à Paris.

En janvier 2015, un groupe du Comité commun de défense des détenus islamistes manifeste sous le thème «Nous ne sommes pas Charlie Hebdo», après l’attentat contre le journal satyrique à Paris. . DR

Revue de presseKiosque360. Ces deux derniers mois, plusieurs décisions ont privé les mouvements de l’islam politique de leurs relais. La fermeture des mosquées, l’interdiction des rassemblements, la gestion des aides directes en font partie. Sur la scène publique, le discours moralisateur a disparu.

Le 22/05/2020 à 19h45

Il y a un peu plus d’une semaine, les familles et les proches des victimes des attentats du 16 mai 2003 commémoraient le 17e anniversaire de ces tragiques événements. C’est une date marquante dans l’histoire du Maroc, mais aussi un point d’inflexion dans l’approche du fait religieux. Un travail laborieux de restructuration du champ religieux a été entrepris depuis, avec le succès que l’on sait. C’est d’ailleurs l’un des piliers, avec le volet sécuritaire et la lutte contre la précarité, de la politique antiterroriste marocaine.

Aujourd’hui, le Maroc traverse encore une fois une situation exceptionnelle. La lutte contre la pandémie a dicté certaines mesures, comme la fermeture provisoire des mosquées et l’interdiction des rassemblements, sans que cela ne provoque de réactions violentes, comme ce fut le cas dans certains pays islamiques. La mesure a été acceptée par tous, avec néanmoins quelques réfractaires qui ont vite été rappelés à l’ordre par l’opinion publique. Sommes-nous en train de négocier un nouveau tournant, celui du début du déclin de l’islam politique? Les signes ne trompent pas, affirme l’hebdomadaire La Vie éco dans son édition mise en ligne ce vendredi 22 mai.

En effet, avec la fermeture des mosquées et l’interdiction des rassemblements religieux, la mouvance islamiste est coupée de ses relais. La rationalisation et le contrôle du dispositif d’aides financières et en nature destinées aux personnes démunies les ont également affectés. La transparence de l’Etat dans la gestion de la crise du Covid-19 a empêché les mouvements islamistes d’exploiter ses effets. Bien plus, le discours religieux, mais aussi la prédication, ont complètement disparu de la vie publique durant ces deux derniers mois. La pratique de la religion est revenue dans la sphère privée.

Les Marocains ont ainsi décidé de vivre leur religiosité et leur spiritualité en privé, loin des comportements ostentatoires, jusque-là habituels. Les Marocains, explique Said Lekhal, chercheur dans le domaine de l’islam politique et des mouvances islamistes cité par l’hebdomadaire, ont pris conscience aujourd’hui que «l’Etat, avec ses institutions sanitaires et sécuritaires, est le seul à pouvoir préserver leur sécurité». Ils ont également découvert que les islamistes, avec toutes leurs colorations, ne peuvent rien pour eux. «Ces circonstances particulières leur ont montré que l’Etat est plus soucieux de leur vie et leur sécurité que les mouvements islamistes qui profitent le plus souvent des crises pour leurs propres intérêts».

Il est clair que durant ces deux derniers mois, sur l’échelle des valeurs, le fait religieux a reculé face aux nécessités et aux besoins réels et concrets de la société. Les débats animés sur les réseaux sociaux et les plateformes de diffusion libre parlent plus d’hôpitaux, de médecins, d’enseignement, de relance de l’économie. Ils échangent des faits, des chiffres et des tendances. Le discours moralisateur et la prédication naguère très présents ont été relégués à l’arrière-plan, écrit l’hebdomadaire. Les citoyens demandent aujourd’hui des solutions réelles et des mesures concrètes pour leurs problèmes du jour.

Dans le discours public, dans les débats et les discussions sur les réseaux sociaux animés par des personnalités de tous bords, le rationnel a pris le dessus sur la morale. Ce qui fait dire à un autre spécialiste du domaine, cité par La Vie éco, que la situation actuelle «nous a imposé à tous, individus, société et élites politiques, de débattre en s’appuyant sur des chiffres et des statistiques et rien de plus. Dans ce début de modernisme démocratique, les orateurs, les tribuns et les idéologues n’ont plus droit de cité. Le discours politique basé sur la religion ne passe plus». D’aucuns, conclut l’hebdomadaire, y voient déjà des signes annonciateurs de la fin de l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques.

Par Amyne Asmlal
Le 22/05/2020 à 19h45