Achoura au Maroc: les trouble-fête

Et l'ambiance était en effet festive, dans les rues qui résonnaient de rires et de cris.

Et l'ambiance était en effet festive, dans les rues qui résonnaient de rires et de cris. . Brahim Taougar

Achoura est une fête célébrée le dixième jour de Moharram, premier mois de l’année musulmane. Cependant, cet événement religieux est aussi synonyme de beaucoup de heurts, voire de malheurs. Retour sur l'origine d'Achoura et les dégâts causés annuellement au Maroc.

Le 01/10/2017 à 10h22

Célébrée chaque année au Maroc, comme dans tous les pays musulmans, Achoura est une fête associée à l'enfance, au partage et à la générosité envers les démunis. Malheureusement, pas une année ne passe sans qu'il y ait des dégâts énormes à cause de pratiques et dérapages accompagnant cette fête.

Aux origines de l'Achoura

Achoura, dite "fête de l'enfance par excellence", est célébrée le dixième jour de Moharram, premier mois du nouvel An musulman, qui coïncide cette année avec le dimanche 1er octobre 2017. D'ailleurs, l'appellation est dérivée du nombre "achara" (dix).

Durant cette célébration, les musulmans observent deux jours de jeûne (facultatif). Cette tradition est calquée sur le jeûne de Yom Kippour (Jour du Grand Pardon) de la religion judaïque institué le 10 du septième mois. C'est le Prophète Mohammed qui a institué cette tradition. Sahih Al-Bukhari: "Ibn Abbas (ra), un compagnon du Prophète (que la paix soit sur lui), rapporte qu’un jour, à la ville de Médine, le Prophète vit des juifs en train de jeûner le 10 du mois de Muharram. Il leur demanda : "Quelle est la signification de ce jour de jeûne?" Ils répondirent : "Ceci est un bon jour, le jour où Dieu sauva les Enfants d’Israël de leur ennemi. C’est pourquoi Moïse jeûna ce jour-là." Et le Prophète Muhammad d’affirmer: "Nous avons plus de droits sur Moïse que vous." Et le Prophète jeûna et conseilla aux musulmans de faire de même".

Achoura entre sunnites et chiites

La célébration d'Achoura diffère chez les principaux courants de l'Islam: sunnites et chiites. Rappelons que ces courants sont nés après la mort du Prophète le 13 Rabî Al-Awwal de l'an 11 après l'Hégire, soit le 8 juillet 633. La question de son successeur divisa les musulmans. Les uns désignèrent Ali, gendre du Prophète, "au nom des liens de sang". Ce sont les futurs chiites. Les autres choisirent Abou Bakr, compagnon du Prophète. Ce sont les futurs sunnites. Abou Bakr fut finalement élu par une large majorité et devint le premier calife. Et depuis, les sunnites sont restés majoritaires.

On estime, aujourd'hui, que 90% des musulmans dans le monde sont sunnites. L’Iran, l’Irak, Bahreïn et l’Azerbaïdjan sont les seuls pays à majorité chiite.

Dans un article paru dans Le Monde sous le titre "Quelles sont les différences entre sunnites et chiites ?", le journaliste Maxime Vaudano explique l'origine de la division entre les deux courants:"Les sunnites considèrent le Coran comme une œuvre divine: l’imam est un pasteur nommé par d'autres hommes, faisant office de guide entre le croyant et Allah pour la prière; dans certaines situations, il peut s'autoproclamer. Les chiites considèrent l’imam, descendant de la famille de Mahomet, comme un guide indispensable de la communauté, tirant directement son autorité de Dieu. C’est pourquoi leur clergé est très structuré.

Conséquence pratique: alors que les sunnites acceptent que les autorités religieuse et politique soient fondues dans la même personne, les chiites prônent une séparation claire. Au Maroc, majoritairement sunnite, le roi est commandeur des croyants, tandis qu’en Iran, à tendance chiite, les ayatollahs sont indépendants du pouvoir exécutif", écrit-il.

Quant à la célébration d'Achoura, elle est chez les sunnites l'occasion de festivités. En revanche, chez les chiites, c'est un moment de deuil où l'on commémore, par des actes d'auto-flagellation, la mort de Hussein, petit fils du Prophète, qui fut décapité et son corps mutilé le 10 Moharram de l’an 680 de l’ère chrétienne. C'est ainsi que la célébration d'Achoura revêt pour les chiites une importance majeure.

Achoura au Maroc

Au Maroc, pays sunnite (on compte quelques centaines de chiites, notamment dans le nord du royaume), la fête d'Achoura est célébrée chaque année dans la joie et l'allégresse. Les familles fêtent leurs enfants en leur achetant de nouveaux habits et surtout des jouets (poupées, pistolets, peluches...)

C'est aussi l'occasion de sortir la Zakat. Le principe étant de donner aux plus démunis un dixième économisé durant l'année. On y distribue des fruits secs (dattes, amandes, noix, raisins, figues), les familles se rendent visite les unes et les autres, et le repas pour l'occasion est le couscous aux sept légumes préparé avec le "gueddid", viande séchée de l’Aïd al-Adha.

Le jour d'Achoura, les enfants et même les grands aspergent d'eau leurs amis, les voisins et même les passants. Une pratique appelée "Zem-Zem" en référence au puits du même nom à La Mecque.

Une fête explosive

Mais là où le bât blesse c’est que, pendant les quelques jours précédant Achoura, dans les rues des différentes villes du royaume, pétards et tous types de feux d’artifices détonnent comme dans un champ de bataille. Ces explosifs généralement de fabrication chinoise sont vendus sous le manteau dans les coins de rue. Interdits par la loi, ils sont introduits depuis les présides occupés de Sebta et Melilla.

Les quartiers populaires, dont en particulier l'Ancienne Médina et Derb Sultan à Casablanca, continuent de perpétuer cette tradition séculaire qu'est la fête d'Achoura. Et chaque année, de graves incidents sont signalés dans ces quartiers. De jeunes y ont même laissé qui un œil qui un doigt. Sans parler de brûlures au niveau du visage ou d'autres parties du corps, causées par la déflagration. Ainsi, pour certaines familles, Achoura vire souvent au drame.

Pourtant, les autorités locales ont formellement interdit la commercialisation de ces petits engins explosifs destinés à produire du bruit, mais qui présentent un grand danger pour le santé et la sécurité des citoyens.

Un projet de loi n° 22-16 régissant les explosifs à usage civil, les feux d'artifice et les équipements pyrotechniques, a été adopté en juillet 2016 en Conseil de gouvernement. Sachant que les anciens textes de loi régissant les explosifs au Maroc datent du protectorat, ce nouveau texte, qui se veut répressif et contraignant, prévoit de lourdes peines à l’encontre les contrevenants.

Pour autant, rien ne semble dissuader ces derniers. Pour preuve, pas plus que ce vendredi 29 septembre, les éléments de la sûreté publique de la ville de Dakhla ont procédé à l'arrestation de trois individus en possession de 147.360 unités de pétards et feux d'artifice de différentes tailles.

Le même jour, à Derb Soltane, à Casablanca, la "fête" battait son plein. Et tous les interdits étaient permis. Idem pour des quartiers de l'Ancienne Médina.

Par Abdelkader El-Aine
Le 01/10/2017 à 10h22