Après les étudiants, les médecins internes et résidents déclenchent une nouvelle grève

Devant le mutisme de leurs ministères de tutelle, les blouses blanches ont décidé de déclencher une nouvelle grève.. DR

Implication dans le processus de création des Groupements sanitaires territoriaux, maintien de leur statut de fonctionnaire d’État dans le cadre de cette réforme, réduction de la durée des contrats pour les résidents déjà engagés avec l’État ou avec les CHU, hausse des indemnités... Telles sont les revendications des médecins internes et résidents. Devant le mutisme de leurs ministères de tutelle, ces blouses blanches ont décidé de déclencher une nouvelle grève pour se faire entendre.

Le 30/03/2024 à 13h34

Nouveau mouvement d’humeur dans le secteur de la santé. Après les étudiants en médecine et les infirmiers, c’est au tour des médecins internes et résidents de monter au créneau. Après une grève nationale observée le 13 mars, les blouses blanches durcissent le ton à travers un débrayage effectué jeudi 28 mars dans tous les Centres hospitaliers universitaires (CHU) du Royaume. À l’exception des services d’urgences, de réanimation et de soins intensifs, cette grève a été «suivie à 95-100%», selon Dr Anas Idrissi Alami, vice-coordinateur de la Commission nationale des médecins internes et résidents (CNIR) et médecin interne au CHU de Marrakech, interrogé par Le360. Un autre mouvement est prévu pour le 3 avril prochain.

Parmi les principales plaintes des médecins, leur non-implication dans l’élaboration des textes d’application de la loi 08-22 relative à la création des Groupements sanitaires territoriaux (GST). «Nous avons organisé, le 13 mars, une grève nationale qui a été suivie à 95%, pour dénoncer le silence du ministère de la Santé et de celui de l’Enseignement supérieur, alors que nous représentons la majorité du personnel dans les CHU. Constatant une nouvelle fois leur indifférence, nous avons décidé d’en organiser deux autres le 28 mars et le 3 avril, pour insister sur nos revendications», explique Dr Alami.

Contactée par nos soins, Dr Fatima Maarouf, présidente de l’Association des résidents de Casablanca, trésorière de la CNIR et médecin résidente au CHU Ibn Rochd, estime que ce mutisme inadmissible accroit leur manque de visibilité sur la réforme. «Le directeur des ressources humaines du ministère de la Santé et de la Protection sociale avait rencontré la CNIR pour lui exposer les objectifs des GST et la modification du statut des internes et résidents, nous mettant devant le fait accompli, alors qu’on souhaitait être impliqués dans le processus de mise en œuvre de ce projet», déplore-t-elle.

Maintien du statut de fonctionnaire d’État

À en croire notre interlocutrice, aucune réunion n’a été tenue depuis lors pour aborder les détails de cette réforme, malgré plusieurs demandes d’audience déposées auprès des deux ministères. Une situation paradoxale, puisque «la CNIR a signé, il y a quelques années, un accord avec le ministère de la Santé dans lequel ce département s’engageait à l’associer dans la mise en œuvre de toutes les réformes dans le secteur sanitaire», souligne-t-elle.

Les médecins internes et résidents exigent aussi le maintien de leur statut de fonctionnaire d’État qu’ils risquent de perdre avec la création des GST. «Cette nouvelle réforme prévoit de transférer le statut des médecins résidents contractuels et médecins du secteur public de fonctionnaire d’État à celui de simple “salarié”. Ces derniers, qui perdront leurs avantages, seront désormais sous la supervision directe du responsable du GST et non du ministère de la Santé», explique Dr Alami.

Les principaux points figurant dans le dossier revendicatif de la CNIR

Les revendications incluent également l’application de la mobilité spontanée de médecins dans les régions prévue dans le régime des GST. En effet, dans le cadre de la réforme, le ministère de la Santé prévoit de transférer une partie de la formation des internes et résidents dans les centres hospitaliers régionaux (CHR) et les centres hospitaliers provinciaux (CHP), alors que ceux-ci passent actuellement toute leur formation dans les CHU.

«Il existe un grand flou sur le transfert de la formation dans les CHR et les CHP. Nous souhaitons que le ministère de la Santé mette en place les conditions pédagogiques et logistiques nécessaires avant d’appliquer cette mobilité, pour maintenir la qualité de la formation dans ces établissements, surtout pour les spécialités médicales», recommande Dr Fatima Maarouf.

Augmentation des rémunérations

Les médecins protestent également contre leur exclusion de la réforme du troisième cycle des études de médecine, qui prévoit d’unifier le résidanat pour qu’il n’y ait plus de résidents bénévoles et de résidents contractuels; ces résidents seront obligés de travailler pendant trois ans avec l’État dans le cadre des GST. «Cette collaboration est automatiquement rompue par le ministère dès la fin de cette échéance. Ce renouvellement des effectifs risque de compromettre notre carrière et d’impacter énormément la qualité des soins délivrés aux patients dans les hôpitaux publics», craint Dr Alami.

Autre revendication de la CNIR: une réduction de la durée des contrats pour les résidents déjà engagés avec l’État ou avec les CHU à deux ans, au lieu de huit actuellement, pour s’aligner sur cette réforme. S’y ajoute la hausse des indemnités. En clair, la commission national demande une augmentation de la rémunération mensuelle des résidents bénévoles à 12.000 dirhams, contre 3.500 dirhams actuellement, pour s’aligner sur celle des résidents contractuels. «Nos indemnités sont nettement inférieures aux 12.000 dirhams que touchent les résidents contractuels alors que nous avons les mêmes diplômes et remplissons les mêmes tâches», souligne Dr Maarouf.

Dans le même ordre d’idées, il est demandé une revalorisation des salaires des médecins internes à 10.000 dirhams, vu leur rythme de travail soutenu, particulièrement dans les services d’urgences, ainsi que l’augmentation de l’indemnité relative à la garde de 186 à 500 dirhams pour les médecins internes et résidents.

«Je touche 3.400 dirhams par mois alors que je dépasse les 100 heures par semaine aux urgences, soit l’équivalent de 5 dirhams l’heure. C’est une rémunération dérisoire par rapport à mon volume de travail et surtout dans ce contexte d’inflation. Il m’arrive parfois même de ne pas me reposer après 24 heures de garde, ce qui pourrait affecter mon rendement», témoigne Dr Anas Idrissi Alami, ajoutant que cette situation de précarité pousse de nombreux médecins à quitter le Maroc pour aller travailler ailleurs, à la recherche d’une meilleure rémunération et de bonnes conditions de travail.

Les médecins internes et résidents n’excluent pas, enfin, de passer à la vitesse supérieure avec une série de grèves hebdomadaires dans les prochaines semaines, si le ministère de la Santé et le ministère de l’Enseignement supérieur restent sourds à leurs revendications.

Par Elimane Sembène
Le 30/03/2024 à 13h34