Coronavirus: la très faible mortalité au Maroc est-t-elle suffisante pour déconfiner le 20 mai?

Casablanca à l’heure du confinement (jour 1).

Casablanca à l’heure du confinement (jour 1). . DR

La date du déconfinement, initialement prévue le 20 mai, semble s’éloigner en raison de l’apparition régulière de nouveaux foyers de contaminations. Pourtant, le taux de létalité, lui, a chuté. Faire confiance à notre protocole de soins est-il suffisant pour déconfiner?

Le 15/05/2020 à 15h19

Depuis le 11 mai, seulement deux décès dus au Covid-19 ont été enregistrés au Maroc. Une bonne nouvelle qui ne s’accompagne pourtant pas pour autant d’une baisse des contaminations. Alors qu’en penser?

Taux de mortalité et taux de létalité: des indicateurs à ne pas confondrePour analyser les données fournies au quotidien, il convient tout d’abord de ne pas se mélanger les pinceaux entre deux indicateurs qui contrairement à ce que l’on pourrait penser ne désignent pas la même chose.

Tout d’abord le taux de mortalité. Celui-ci désigne le pourcentage de morts par rapport au nombre d’individus d’une population donnée dans une période donnée. Au Maroc, le Covid-19 a fait 190 morts depuis le début de l'épidémie pour une population totale de 36.729.212 habitants.

Le nombre de personnes décédées du nouveau coronavirus au Maroc représente donc environ 5,17 morts pour 1.000.000 habitants. A titre de comparaison, la France enregistre un triste score de 408,93 morts pour 1.000.000 habitants.

Mais le taux de mortalité n’est pas un indicateur parlant. Il faut se référer au taux de létalité pour pouvoir évaluer la dangerosité d’une maladie car cet indicateur se rapporte non pas à l’ensemble de la population mais aux seules personnes infectées.

Au Maroc, 6623 cas de contamination ont été confirmés ainsi que 190 décès liés au Covid-19. Le taux de létalité au Maroc est donc de 2,9%, c’est-à-dire que 2,9% des personnes ayant contracté le Covid-19 au Maroc sont décédées.

Le Maroc vs autres pays: de bons résultats du côté du taux de létalitéSelon la page «Pandémie de Covid-19 par pays» générée par Wikipédia et mise à jour quotidiennement, le taux de létalité varie fortement d’un pays à l’autre.

En France, il est de 19,25%, en Belgique de 16,29%, au Royaume-Uni de 14,39%, en Italie de 13,97%, aux Pays-Bas de 12,8%, en Suède de 12,15 et enfin en Espagne de 11,81%. Aux Etats-Unis, le taux de létalité est de 6,01% et en Allemagne de 4,47%.

S’agissant des pays du Maghreb, l’Algérie présente un taux de létalité de 8,49% et la Tunisie de 4,36%.

Autrement dit, le Maroc (2,9%) se classe effectivement plutôt bien dans le monde et le Maghreb.

Une bonne nouvelle certes, toutefois, attention à ne pas crier victoire pour autant!

Un succès en demi-teinteBien qu’ils représentent une considérable lueur d’espoir, ces chiffres sont toutefois à prendre avec des pincettes. En effet, si la formule de calcul du taux de létalité est la même d’un pays à l’autre, le numérateur, soit le nombre de décès liés au Covid-19, lui n’est pas comptabilisé partout de la même façon.

Ainsi, que ce soit en France ou au Royaume-Uni, on a d’abord uniquement recensé le nombre de morts du Covid-19 dans les hôpitaux, avant d’y ajouter par la suite les décès en Ehpad et à l’heure actuelle, le doute subsiste toujours quant aux décès à domicile.

Du côté de la Belgique, on tient compte dans le bilan des personnes non testées mais suspectées tandis qu’en Italie, on ne tient pas compte systématiquement des décès en maisons de retraite.Dans le cas du Maroc, le nombre de personnes décédées provient uniquement des établissements hospitaliers. Y a-t-il des morts qui n’ont pas été recensés? C’est probable, mais impossible pour l’heure de l’affirmer et encore moins de le vérifier.

Du côté du Directeur du CHU de Ibn Rochd à Casablanca, Mohammed Benghanem Gharbi, on se veut toutefois rassurant et confiant dans les chiffres avancés. «Les patients Covid sont connus au Maroc et se trouvent en confinement dans les hôpitaux ou les hôtels. Quand il y a un décès, cela survient en général à l’hôpital et ceux-ci sont donc toujours comptabilisés. Est-ce qu’il y aurait eu un ou des décès non diagnostiqués? C’est possible, mais ça reste théorique», rassure-t-il.

Deuxième raison de se méfier de cette approche, le dénominateur, en l’occurrence le nombre de cas de Covid-19 confirmés, qui dépend entièrement du nombre de tests pratiqués sur la population. En effet, plus tôt le dépistage est fait, plus les chances seront grandes de ne pas voir se développer des symptômes graves de la maladie impliquant des soins en réanimation. De facto, la mortalité baisse elle aussi. C’est le cas de l’Allemagne. A contrario, la France, elle, a pratiqué peu de tests en comparaison avec l’Allemagne et affiche donc un taux de létalité élevé.

Mais que penser du Maroc alors, qui a réalisé 80.505 tests jusqu’au 15 mai à 10h. Une performance certes remarquable à l’échelle du continent et l’effort qui a été accompli avec la multiplication par 7 du nombre de laboratoires pour effectuer des tests à la PCR est très louable. Néanmoins, nous sommes bien loin des 500.000 tests par semaine en Allemagne et pourtant notre taux de létalité est à 2,9% quand celui de l’Allemagne est à 4,47% ! Comment expliquer cela?

L’exception marocaine ?La réponse, il faut assurément la chercher du côté du protocole médicamenteux appliqué au Maroc. Mais pas que…

Comme l’annonçait Le360.ma dans le cadre d’un précédent article, le Maroc a fait le pari de miser sur deux traitements médicamenteux, bien spécifiques, prenant ainsi le contre-pied des interdictions émises dans d’autres pays. L’un à base de chloroquine et le second à base de corticoïdes.

Ainsi, en traitement de première intention au Maroc, on prescrit de l’hydroxychloroquine et de l’azymicine, c’est-à-dire plaquénil et azithromycine ou de la chloroquine et de l’azithromycine, nous expliquait dans une précédente interview le professeur Jaâfar Heikel, épidémiologiste et infectiologue, expert international et directeur général de la clinique de Vinci à Casablanca qui soigne des patients infectés par le Covid-19.

Toutefois, la clé du succès marocain, on la doit assurément à quelque chose de plus. En l’occurrence, un traitement complémentaire à base de corticoïdes, qu’administrent les médecins marocains à près d’un patient sur deux en fonction de son état clinique, défiant ainsi les réticences d’autres pays quant à l’emploi des anti-inflammatoires: l’usage de la corticothérapie.

Et les résultats parlent d’eux-mêmes. A l’échelle de la clinique De Vinci à Casablanca, le Professeur Heikel annonçait le 1er mai que sur 90 patients admis depuis le 20 mars, «aujourd’hui, 26% de patients sont encore hospitalisés, mais en bon état de santé. Les autres, une soixantaine, sont soit guéris (56%) soit en phase de guérison finale (87%). 5 cas compliqués sur les 90 cas sont partis en réanimation. Malheureusement, 3 d’entre eux sont morts, et 2 sont sortis de réanimation».

Du côté du CHU Ibn Rochd à Casablanca, même son de cloche. «Nous ne sommes absolument pas débordés en réanimation», nous annonce le professeur Mohammed Benghanem Gharbi, directeur du CHU Ibn Rochd Casablanca, précisant qu’«un tiers seulement des lits sont occupés, parce qu’on a su anticiper». Ainsi, selon lui, le traitement en soi est un élément parmi d’autres à considérer, à commencer par le dépistage précoce des personnes symptomatiques et parfois même pas encore atteintes de symptômes.

«Plus les patients sont pris en charge tôt, plus on arrive à avoir de meilleurs résultats» explique le professeur Benghanem Gharbi qui considère donc les résultats actuels à la lumière d’une stratégie globale.

Et de saluer au passage le travail de suivi effectué par une cellule interne au CHU de Casablanca, constituée d’experts éminents ayant travaillé auparavant sur l’épidémie du VIH et du H1N1, laquelle est chargée chaque jour d’étudier les publications scientifiques publiées depuis le début de la pandémie.

«Il y a plus de 1.500 articles scientifiques publiés depuis plusieurs mois et nous avons une cellule scientifique qui les lit afin que nous fassions un briefing tous les jours à ce sujet et ainsi recalibrer notre prise en charge en fonction de ces résultats scientifiques».

«Nous faisons de la médecine expérimentale qui se base sur l’observation. Nous ne sommes pas des chercheurs, mais des médecins, avec une démarche de soignants. Face à un malade, on l’analyse, on le soigne, au vu de l’expérience que nous avons avec des médicaments anciens», explique-t-il.

«Ensuite, il y a des équipes qui font de la recherche», décrète-t-il rappelant que «les médecins du Maroc ne prennent pas le parti de ne pas administrer un traitement sous prétexte qu’il n’a pas fait ses preuves».

«On n’a pas le temps d’attendre des preuves scientifiques ! Nous travaillons avec des médicaments que nous avons et que nous maitrisons», conclut-il.

Est-ce suffisant pour déconfiner le 20 mai?C’est la question qui se pose et la question qui fâche. Peut-on se baser sur notre excellent taux de létalité pour déconfiner comme prévu le 20 mai? Ne risque-t-on pas une deuxième vague de contaminations? D’autant plus que les mesures de sécurité peinent à être appliquées par les citoyens que ce soit dans les unités industrielles ou dans l’environnement familial.

Selon Mohammed Benghanem Gharbi, «le déconfinement est une décision multidimensionnelle, et pas uniquement sanitaire. Il y a aussi une dimension sociale et économique qui doit être prise en compte». Pour les médecins, certes «une deuxième vague de contaminations est redoutée», nous confie le professeur Benghanem Gharbi, d’autant qu’un certain relâchement de la population se fait sentir.

«Le virus est là, parmi nous», rappelle ainsi le professeur. «Le monde n’est pas encore sorti de la pandémie, et le Maroc non plus», rappelle-t-il avant d’insister sur le fait que le déconfinement devra s’accompagner de mesures sanitaires fondamentales: «il va falloir qu’on se comporte de manière différente: respecter les gestes barrières, la distanciation sociale, le port du masque, le lavage des mains, ne pas prendre part aux rassemblements, ne se déplacer que si cela est nécessaire… »

Ainsi, selon lui, s’il y a déconfinement le 20 mai, «celui-ci sera certainement progressif et adapté à chaque région et chaque situation». Et de conclure, que tout dépendra de l’évolution du RO (taux de reproduction du virus) qui il y a 2 à 3 jours, était à 1.03, «et il faut qu’on soit en dessous de 1 pendant un certain temps», rappelle-t-il. «Les gens voient le nombre de morts diminuer et ils se disent que nous sommes sortis d’affaire. Ce sera le cas quand il n’y aura plus de transmission du virus!»

Par Zineb Ibnouzahir
Le 15/05/2020 à 15h19