Ecoles françaises: au Maroc, on paie plein pot les frais du 3e trimestre mais pas à Dubaï!

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Dans un courrier envoyé le 4 mai aux parents, Claude Thoinet, proviseur du Lycée Lyautey et chef du pôle Casablanca-Mohammedia, a tenu à souhaiter, tout en poésie, une bonne reprise aux élèves suite à leur retour de vacances confinées. Sa prose fera-t-elle oublier la facture à payer plein pot?

Le 05/05/2020 à 13h43

«Aujourd’hui 4 mai, "jour de reprise", aussi étrange formulation que "bonnes vacances", mais la réalité du calendrier est là. Il faut que vos enfants -nos élèves- se remettent au travail pour profiter d’une continuité pédagogique indispensable, car il faut faire fructifier tous les efforts qui ont déjà été réalisés; il nous faut donc poursuivre le travail entrepris, car l’avenir est encore très flou», annonce en préambule de sa lettre destinée aux parents d'élèves, Claude Thoinet.

Le retour en classe est envisageable

Puis, le proviseur du Lycée Lyautey aborde le sujet du déconfinement et d’un éventuel retour en classe des élèves. Car si la décision finale appartient aux autorités marocaines, il n’en demeure pas moins que les écoles régies par l’Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) suivent de près les scénarii mis en œuvre en France.

«Nous suivons les événements qui se déroulent en France où le déconfinement est annoncé pour le 11 mai et où les écoles et les collèges pourront très progressivement et au cas par cas, ouvrir à nouveau. Ce sera un précédent à observer attentivement. Et pour notre lycée? La fin d’année sera conditionnée par les décisions et les préconisations des autorités marocaines et de l’Ambassade de France. Des protocoles sanitaires élaborés par le ministère français de l’Education nationale sont en cours de finalisation. L’ambassade via le Service de coopération et d'action culturelle (SCAC) donnera également ses consignes».

Alors, à quoi s’attendre précisément en cas de retour à l’école après le déconfinement annoncé le 20 mai au Maroc? Mr Thoinet précise donc qu’«il faudra ensuite -au cas où une reprise partielle serait envisagée- une large consultation à travers les diverses instances pour aboutir à un consensus sur les éventuelles procédures à mettre en place, car s’il est un domaine où il faut impérativement parvenir à un accord entre toutes les parties concernées, c’est bien celui de la santé des élèves (et indirectement de leur famille) et de tous les personnels, enseignants et non enseignants. Nous en sommes pour l’instant réduits aux hypothèses et il serait vraiment hasardeux d’aller au-delà».

Des élèves notés malgré tout, mais sur d’autres critères

Autrement dit, autant se préparer dès maintenant à poursuivre l’école à domicile jusqu’aux vacances d’été. Quid des résultats scolaires, du bulletin du 3e trimestre? Sur quelle base les élèves seront-il évalués?, s’interrogent à juste titre les parents inquiets.

 Là encore, Mr Thoinet tente de se montrer rassurant en les invitant à voir dans cette crise une leçon de vie: «ce triste contexte sanitaire leur donne la possibilité d’étudier sans inquiétude pour la note, sans l’angoisse du résultat, sans la pression du "groupe-classe", c’est une occasion à saisir pour découvrir le plaisir d’apprendre, de se cultiver, de se former. Certes, ils seront évalués, mais sur quels critères?: le sérieux, l’investissement, l’engagement, bref sur leur attitude face au travail, face à un quotidien difficile, face à eux-mêmes. C’est une leçon de vie que nous donne ce confinement, qu’ils en tirent enseignement pour savoir qui ils sont et ce qu’ils veulent montrer de leur personnalité».

Et pour conclure sa lettre, chose peu commune, celui-ci partage deux poésies. «Douceur» de Guillevic ainsi que «Les planches courbes» de Yves Bonnefoy…

Cet instant poétique suffira-t-il à apaiser les mœurs et à satisfaire les attentes des parents, rien n’est moins sûr…

Au diable la poésie! L’argent, le nerf de la guerre

S’agissant de la réduction des frais de scolarité du 3e trimestre dont tous les parents attendent toujours l’annonce, aucune mention n’en est faite dans cette jolie lettre qui leur est destinée.

La prose poétique du chef d’établissement suffira-t-elle à convaincre les parents de passer à la caisse? Pas sûr, voire même inenvisageable. En effet, déterminés à remporter ce bras de fer qui les oppose à l’AEFE, les parents d’élèves à travers leurs associations font bloc et n’ont pas l’intention de payer la globalité de la facture dont ils devaient s’acquitter avant le 20 avril, estimant que l’école à distance est bien loin de tenir ses promesses.

Un emploi du temps considérablement allégé, des cours non dispensés, des exercices en guise de leçons, ajoutez à cela que les charges des établissements scolaires sont, du fait du confinement, moins lourdes… Autant de bonnes raisons pour les parents de ne pas céder, et ce, quel que soit l’impact de la crise sur leur situation économique.

Car l’inquiétude des parents ne concerne pas que les frais liés au 3e trimestre, mais également l’augmentation de 10% prévue pour l’année scolaire 2020-2021. Bien que rejetée par les parents dans le cadre d’une pétition en ligne et de courriers de contestation, l’augmentation à venir est toujours d’actualité, et ce malgré une crise économique qui s’installe à peine et risque fort de perdurer. Car si certains ont la chance d’avoir pu conserver leur emploi pour le moment, comment être sûr de ce que nous réservent les jours, les semaines, les mois à venir dans un contexte de crise mondiale?

Des bourses pour ceux qui pourront prouver leurs difficultés

L’AEFE consent donc à traiter les dossiers des parents en difficulté financière au cas par cas, et accorde des bourses sous présentation d’une flopée de documents administratifs prouvant ladite difficulté. «Dans les circonstances qui le justifient, certaines familles déjà boursières pourront de la même manière bénéficier d’une prise en charge accrue. Cela se traduit par une mobilisation renforcée des dispositifs de bourses scolaires, qui est estimée à ce stade à 50 millions d’euros», annonce-t-on le 30 avril à l’issue d’une audio-conférence qui s’est tenue au Quai d’Orsay entre, d’une part, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, le ministre de l’Action et des comptes publics et le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et d’autre part, les parlementaires représentant les Français établis hors de France et le président de l’Assemblée des Français de l’étranger.

Toutefois, l’agence rechigne à accorder une fleur à tous les parents, prétextant que tout le personnel des écoles travaille d’arrache-pied, malgré le confinement. Professeurs et personnel administratif doivent donc être payés sans distinction aucune. Fort bien, mais est-ce aux parents d'assumer toutes ces charges?

Au Maroc on trinque, mais pas ailleurs…

Cette grogne ne concerne pas que le Maroc, mais tous les pays où est implantée l’AEFE et en Tunisie, par exemple, la mobilisation se passe sous le hashtag #jeretardemonpaiement.

La colère est d’autant plus vive que des faveurs ont été accordées aux parents, sans exception, dans de nombreux pays du monde. Ainsi à Dubaï, les parents des élèves inscrits au lycée français Georges-Pompidou ont eu droit à une réduction de 20% sur les frais de scolarité du 3e trimestre.

Même son de cloche à Moscou où les écoles n’ont fait payer que deux mois sur trois. Et dans les écoles françaises de Barcelone, Porto, Mexico, Lima, Téhéran et Istanbul, ont aussi été accordées des réductions aux parents.

Pourquoi tant de réticences de la part de l’AEFE à généraliser cette tendance dans ce cas-là? La réponse, on la trouve dans une interview de Damien Regnard, sénateur des Français établis hors de France, sur le site le petit journal.

Selon lui, si certains établissements consentent à une réduction pour l’ensemble des parents, c’est parce que ceux-ci «ont une trésorerie suffisante pour tenir le choc et engager certaines mesures pour aider les parents comme proposer une remise sur les frais de scolarité du 3e trimestre, ou offrir des bourses exceptionnelles».

Or, ce ne serait pas le cas de tous les autres établissements du réseau, soit 552 dans le monde, pour lesquels «le paiement des frais de scolarité est indispensable à la survie des établissements du réseau».

Pourtant, à l’issue de cette même audio-conférence au Quai d’Orsay, on apprend qu’«une avance France Trésor sera mobilisée pour remédier aux besoins de trésorerie de l’agence dans les prochains mois, dont l’ordre de grandeur est aujourd’hui estimé à 100 millions d’euros. Ce besoin sera réévalué plus précisément en juin, à la lumière de l’ensemble des mesures à mettre en œuvre pour la sauvegarde du réseau de l’enseignement français à l’étranger».

Toutefois, une chose est sûre, si le bras de fer perdure entre l’AEFE et les parents d’élèves sans qu’une aide financière générale soit mise en œuvre, l’avenir des écoles françaises sera fortement compromis.

«Au-delà de la situation d’urgence pour le paiement des trimestres en cours, il y a effectivement des risques majeurs de fermeture d’écoles, faute d’élèves inscrits pour la rentrée. Si on n’aide pas les familles en difficulté, qu’elles soient françaises ou issues du pays d’accueil ou de pays tiers, alors elles risquent de se tourner vers d’autres solutions moins coûteuses en choisissant par exemple le système public local ou le CNED», explique ainsi le sénateur.

Autrement dit, «une réduction des effectifs d’élèves pour la rentrée 2020 aurait des conséquences terribles pour certains établissements, notamment sur un plan financier, qui pourraient ne pas s’en remettre et disparaître. Nous devons tout faire pour empêcher cela!», poursuit-il.

Pour éviter que la situation ne dégénère, il a ainsi été décidé par le gouvernement français de débloquer 220 millions d’euros, dont 100 millions sont alloués à l’AEFE comme spécifié plus haut, mais aussi 50 millions dédiés aux familles fragilisées par la crise, et 50 autres millions d’aides sociales d’urgence.

Par Leïla Driss
Le 05/05/2020 à 13h43