Être rémunéré au salaire minimum au Maroc: une vraie galère pour les travailleurs

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Quand on est rémunéré à hauteur du Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), il faut se contenter de l’essentiel, et encore. Pas de loisirs, du mal à boucler les fins de mois… De l’impossibilité d'épargner au surendettement, comment vivre à moins de 3000 dirhams mensuels?

Le 11/01/2020 à 09h49

Loyer, frais médicaux, éducation, nourriture... Les salariés marocains payés au Smig n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois.

Fixé par le gouvernement, au 1er janvier 2020, à près de 2.698 dirhams mensuels, après consultation des partenaires sociaux que sont la confédération patronale et les syndicats, le Smig, qui concerne l’ensemble des secteurs de l’économie sauf l’agriculture, où le Smag est appliqué, est, à l’évidence, nettement insuffisant pour faire vivre décemment un foyer.

De l’avis de Ouadi Madih, président d'une association de protection des consommateurs, Uniconso, «un citoyen doit toucher 6.000 dirhams au minimum pour réaliser un équilibre financier dans sa vie». Et ce montant qu’il évoque ne comprend même pas, par exemple, d’éventuels frais de divertissement.

Avec 6.000 dirhams par mois, selon cet acteur associatif, un salarié peut à peine payer ses besoins primaires, à savoir ses frais de santé, d’éducation, de transport ainsi qu’un loyer et sa nourriture.

En l’absence d’une aide de l’Etat réservée à cette catégorie de travailleurs, le stress et l’angoisse sont le lot commun de ces personnes, qui s’échinent parfois jour et nuit à travailler afin de subvenir aux besoins de leur famille.

«Je ne peux pas passer un mois sans m’endetter. Je dois de l’argent à tout le monde, à l’épicier, à ma mère, au voisin… Je cumule les dettes à chaque mois pour permettre à ma famille de manger et de vivre sous un toit», confie ce concierge, smigard, interrogé par Le360.

Dans ce tableau, les frais médicaux, pourtant fondamentaux, passent parfois à la trappe, explique Ouadi Madih: «les structures de la couverture sociale ne peuvent pas subvenir aux besoins des citoyens. Le barème de prévoyance sociale reste ancien et obsolète, il s’appuie sur des tarifs qui ont nettement augmenté au fil des ans. A titre d’exemple, une consultation chez un médecin généraliste coûte de 150 à 200 dirhams, alors que la couverture sociale ne rembourse que 30 dirhams».

Inutile par ailleurs de penser à l’épargne quand on est smigard, alors qu’elle est nécessaire pour se protéger des aléas de la vie. Bien au contraire, les smigards sont endettés, voire surendettés, à tel point que Bank Al-Maghrib alerte sur cette situation sociale très préoccupante, et mentionne, dans son rapport pour l’année 2019, une augmentation du stock des impayés des particuliers. Ceux-ci, selon la banque centrale marocaine, ont atteint plus de 23 milliards de dirhams en 2019, soit une hausse de 168% en moins de 7 ans.

«Je suis secrétaire chez un avocat, mon mari ne travaille pas, je suis donc obligée de subvenir aux besoins de ma famille. Une dette de 1.300 dirhams par mois m’a permis d’acheter mon petit appartement dans un projet de logement social. Les 1.600 dirhams restants ne suffisent à rien, je dors en pleurs et me réveille en larmes. J’essaie de faire un business de gâteaux à côté, mais le temps ne me rend pas service, et j’ai l’impression d’oublier mes enfants au milieu de tout cette inquiétude financière», se plaint Fatima, réceptionniste à Casablanca.

Et bien évidemment, la situation financière précaire des smigards retentit sur leur vie sociale et sur leur moral. Le président de l’association Uniconso se désole: «on assiste souvent à des déchirures familiales causées par l’insuffisance de revenus. Le stress causé au quotidien a de graves conséquences sur la stabilité émotionnelle et sociale des salariés qui touchent le Smig».

Pourtant, une étude à ce sujet de Bank Al-Maghrib, publiée en décembre dernier, affirme que «le Smig reste sensiblement élevé au Maroc», un constat qui s’appuie sur un benchmark international des experts de BAM, qui ont ainsi pu montrer que le salaire minimum au Maroc était relativement élevé, à la fois par rapport au salaire moyen, et par rapport au niveau du PIB par tête.

Une information qui semble contredire le dur et difficile quotidien de cette catégorie de travailleurs, et qui remet en cause les déclarations de Ouadi Madih, pour lequel «un foyer a besoin de 10.000 à 12.000 dirhams par mois pour être stable financièrement».

Que ce soit dans les grandes ou les petites villes du royaume, la réalité de l’insuffisance du Smig devant les besoins mensuels est la même. «Le citoyen marocain doit tout faire par lui-même, rien n’est réellement garanti par l’Etat. De l’éducation, à la santé, au transport, un salaire de 3.000 dirhams ne peut même pas remplir ces charges essentielles», insiste cet acteur associatif qui lutte pour les droits des consommateurs.

Par Lamiae Belhaj Soulami
Le 11/01/2020 à 09h49