Immersion dans les rangs des contrebandiers du nord

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La contrebande reste un fléau en dépit de la chute des transactions. Chaque jour, les villes de Sebta et de Melilla accueillent en moyenne quelques 15.000 passeurs marocains.

Le 14/07/2013 à 16h49, mis à jour le 27/07/2013 à 16h56

Alors que souffle au petit matin un vent doux annonçant le chergui, des files interminables de passeurs, hommes à l’âge jeune et femmes de la cinquantaine, s’engouffrent dans un tunnel métallique en franchissant les contrôles policiers, sans visa, uniquement munis de CIN mentionnant une simple adresse à Tétouan. Ces contrebandiers vont s’approvisionner à quelques mètres de là dans de grands hangars. Un immense paradis de la contrebande érigé par les Espagnols loin de Sebta pour éviter à leur ville la saleté, le désordre et l’encombrement. Près de ces hangars, ces passeurs marocains font l’objet d’un traitement dégradant de la part la Guardia civil. De lourds coups de gourdins s’abattent sur leurs corps uniquement parce que la file indienne dans le tunnel métallique n’est pas aux goûts de ces policiers.

15.000 passeurs par jour

Ces hommes et ces femmes travaillent pour le compte des commerçants installés dans les villes avoisinantes, notamment Tétouan, Tanger, Fnidek, M’dieq, Nador et les villages du Rif. Chaque jour, les villes de Sebta et de Melilla accueillent en moyenne quelques 15.000 passeurs marocains, selon des sources sécuritaires. A midi, le retour de Sebta vers le Maroc suit la même voie, mais cette fois-ci, les dos des passeurs sont tous chargés de gros sacs de produits de contrebande, à l’image des mulets lorsqu'ils grimpent les montagnes. Il y a aussi ces centaines de veilles voitures, bourrées de produits de contrebande qui traversent aisément la frontière, sans passeport, ni visa, ni CIN ou papier du véhicule, grâce néanmoins à la complicité de douaniers, des passeurs et des policiers.

365 jours durant l’année, c’est la même scène qui se répète chaque jour aux frontières de Sebta et de Nador avec Melilla, sans oublier la puissante contrebande qui réussit à percer, elle, les frontières pourtant fermées de l’Est avec l’Algérie. A noter que cette contrebande cause à l’économie nationale un manque à gagner annuel de quelques 20 milliards de dirhams. La chambre de Commerce d’Oujda estime, à elle seule, les dégâts à quelques 6 milliards de dirhams par an. La contrebande de ces trois dernières années est composée essentiellement de produits alimentaires, de produits pour l’entretien sanitaire, de chaussures, de vêtements ainsi que de pièces automobiles.

Ces travailleurs du tunnel

Agée de 44 ans, Lakbira, veuve avec quatre enfants à charge fait ce travail depuis cinq ans. "C’est très dur ! Mais je n’ai pas d’autre choix", a-t-elle déclaré au Le360, assurant qu’elle ne gagne que 50 dirhams par jour. Son travail, consiste à faire passer la marchandise pour le compte d’un commerçant établi dans la région. Batoul, 36 ans, fait ce boulot autrement. Résidante à Marrakech, elle vient tous les 15 jours à Sebta pour s’approvisionner en lingerie. "Je gagne ma vie, mais des fois je perds tout quand les douaniers me confisquent la marchandise", regrette la jeune femme qui paie 50 dirhams pour traverser la frontière. Lakhdar Zéroual, un grand gaillard de Ksar Sghir a été rencontré, lui, près des hangars de Sebta. Il chargeait son estafette de gros sacs de riz. "C’est la période du ramadan, ce produit est très demandé même à l’intérieur du pays c’est pour cela que je fais trois rotations par jour sans problème entre Sebta et Tétouan", nous raconte-t-il.

Plus loin, un douanier reconnaît la gravité de la contrebande sur l’économie nationale, affirmant toutefois que celle-ci a reculé ces dernières années. "La contrebande ne comporte plus de produits électroniques comme les écrans télé ou autres appareils, tout simplement parce que les droits de douane de ce genre de marchandises ont énormément baissé", explique ce contrôleur. Cette affirmation a été vérifiée auprès de l’Administration générale des douanes à Rabat. "Le démantèlement tarifaire, les accords de libre échange et la baisse des droits de douane ont facilité l’importation légale de nombreux produits autrefois éléments de la contrebande, et du même coup ont fait baisser le volume de cette dernière", a affirmé ce responsable auprès de l'administration sous le couvert de l’anonymat. En effet, le taux de droit à l’importation le plus haut est fixé aujourd’hui à 50% et la plupart des produits sont actuellement soumis à un droit d’importation ne dépassant pas 26%, a assuré ce douanier. Les zones industrielles de Tanger et de Tétouan ont également joué un rôle important dans la diminution de la contrebande.

A la question de savoir pourquoi cette contrebande persiste toujours, tous les responsables interrogés aux postes frontaliers avancent des considérations sociales. "Les gens ici se nourrissent de la contrebande parce que leurs conditions sociales sont précaires. L’Etat est parfaitement conscient de cela, c’est pourquoi il ferme les yeux", a-t-on expliqué à Le360. "L’Etat peut-il mettre fin à tout moment à cette contrebande en fermant les frontières aux passeurs mais quelles alternatives peut-elle offrir maintenant à ces pauvres gens?", conclut l'un de nos interlocuteurs.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 14/07/2013 à 16h49, mis à jour le 27/07/2013 à 16h56