Maroc: les autres victimes du Covid-19, ces enfants atteints de maladies rares qui meurent de faim

Les enfants atteints de phénylcétonurie, victimes du confinement.

Les enfants atteints de phénylcétonurie, victimes du confinement. . DR

La pandémie du Covid-19 et le confinement qui en a résulté ont fait de nombreuses victimes également dans les rangs des malades qui souffrent d’autres pathologies. C’est notamment le cas des enfants atteints de phénylcétonurie qui livrent bataille pour survivre.

Le 20/07/2020 à 14h31

Il est une maladie rare et méconnue au Maroc qui met en danger la vie des enfants qui en souffrent: la phénylcétonurie.

Due à l'accumulation progressive dans l'organisme des bébés d'un composé toxique pour le cerveau entraînant un retard mental et des problèmes neurologiques, «cette maladie touche un enfant sur 4.000 au Maroc et entrave le développement des enfants», annonce un communiqué de l’Alliance des maladies rares au Maroc (AMRM).

La phénylcétonurie (PCU) est provoquée par un trouble du métabolisme de la phénylalanine, un acide aminé présent dans l’alimentation. Celui-ci est normalement transformé en un autre acide aminé, la tyrosine, grâce à une enzyme qui est défectueuse chez ces enfants.

«Les bébés atteints par cette maladie développent un retard mental et des symptômes tels que convulsions, nausées et vomissements, éruption cutanée proche de l’eczéma, hyperactivité, agressivité ou automutilation, périmètre crânien réduit (microcéphalie), peau, yeux et cheveux plus clairs… Ils dégagent souvent une odeur de "souris" ou de moisi en raison de la présence d’un sous-produit de la phénylalanine dans leurs urines et leur sueur», explique l’AMRM.

«La maladie est assez souvent confondue à tort avec de l’autisme, et même par les médecins, à cause des conséquences: agressivité, absence d’acquisition des capacités intellectuelle et motrice. D’où des retards de diagnostic très préjudiciables», souligne le docteur Khadija Moussayer, présidente de l’AMRM.

Manger différemment pour survivre, un casse-tête en temps de confinement

Cette maladie rare, mais diagnostiquée, nécessite un régime alimentaire strict débuté avant 3 mois et poursuivi toute l’enfance assure pourtant un développement normal.

L’enfant atteint de cette maladie doit suivre un régime draconien très faible en protéines. Viandes, poissons, œufs, laitages, et féculents sont donc supprimés jusqu'à l'âge de 12 ans, puis, suivant les cas, l’interdiction de la consommation de ces aliments s’assouplit à l'adolescence. Autrement dit, «pratiquement tout lui est interdit au début», explique l’AMRM.

Autre problématique de taille, l’indisponibilité au Maroc et le coût très élevé des produits diététiques spécifiques (farines, pâtes spéciales, solutions complémentaires…) font souvent que les enfants «meurent littéralement de faim» pour respecter ces règles, s’inquiète l’Alliance des maladies rares au Maroc. En effet, «une boîte de lait spécifique coûte dans les 500 dhs et n’est même pas disponible au Maroc. Donc les familles se débrouillent comme elles peuvent pour se les procurer et ne sont pas remboursées bien sûr», précise-t-on dans le communiqué.

Sans compter que si un médicament, stimulant la dégradation de la phénylalanine et permettant d'atténuer le régime chez certains enfants, existe, celui-ci est indisponible au Maroc. «Ce médicament, le Kuvan, permet d’alléger le régime pour le rendre moins contraignant. C’est un compensateur», explique l’AMRM.

Et de poursuivre qu'«outre les contraintes générées par la maladie, les familles vivent une véritable vie de misère et de galère entre la cherté et l’indisponibilité des aliments spéciaux et des médicaments. L’épidémie du coronavirus et le confinement qui s’en est suivi ont été vécus comme une tragédie par ces familles: elles n’arrivent à faire survivre leurs enfants en temps normal que par des dons de philanthropes étrangers et le blocage des frontières/confinement a pratiquement stoppé cette aide et affamé les enfants».

Si deux associations, l’Association marocaine de patients de la phénylcétonurie et l’Association SOS PKU Maroc soutiennent au quotidien et tant bien que mal les enfants et leurs familles en leur fournissant de la nourriture adaptée, «reçue de bienfaiteurs étrangers (souvent d’origine marocaine)», explique l’AMRM, pendant le confinement, l’approvisionnement est devenu mission impossible: «les parents n'avaient pas le droit de se déplacer pour se rendre au siège de l'association, située parfois à plus de 100 km de leur domicile. Les associations ont pu seulement en distribuer de petites quantités à cent enfants, en rationnant les produits dont elles disposaient».

De l’importance du dépistage

L’aide de ces deux associations permet également d’aider financièrement les familles à effectuer des analyses biologiques régulières et indispensables tous les 15 jours. «C’est un test de contrôle du taux de la phénylalanine qui coûte environ 250 dhs, une dépense que beaucoup de familles sont incapables d’assumer», remarque le docteur Khadija Moussayer.

«La phénylcétonurie touche suivant les pays entre 1 nouveau-né sur 20.000 et 1 sur 4.000», avance la présidente de l’AMRM, en s’alarmant par ailleurs du fait que le Maroc affiche «un fort pourcentage de mariage consanguin avec un nombre d’enfants atteints au Maroc est certainement proche de 1 sur 4.000. Soit plusieurs milliers de gens handicapés mentaux! Une très lourde charge pour les familles, pour le système de santé marocain et pour la société dans son ensemble!»

Un test spécifique, opéré à partir de quelques gouttes de sang prélevé au 3e jour de vie et déposé sur un buvard, «permettrait pourtant de l’éviter, ainsi qu’on le fait déjà dans tous les pays européens. Ce test de "rien du tout" assurerait ainsi une vie normale ou presque à des milliers d’enfants», explique enfin le docteur Moussayer.

L’AMRM a donc appelé encore une fois, à l’occasion de la Journée internationale de la phénylcétonurie, le 28 juin dernier, à un large programme de dépistage néonatal systématique de la phénylcétonurie ainsi d’ailleurs que de quatre autres maladies rares qui méritent d’être signalées: l’hypothyroïdie congénitale (soignable par un traitement peu onéreux: la lévothyroxine, une hormone thyroïdienne), l’hyperplasie congénitale des surrénales (dérèglement hormonal causant des crises potentiellement mortelles de déshydratation), la drépanocytose (atteinte du sang) et la mucoviscidose (touchant surtout voies respiratoires et système digestif).

Par Zineb Ibnouzahir
Le 20/07/2020 à 14h31