Mendicité

Famille Ben Jelloun

C’est une image déplorable que nous donnons aux étrangers qui visitent notre pays. Mendiants et aussi harceleurs. Des touristes bienveillants font remarquer sur les réseaux sociaux que le Maroc est un beau pays, mais malheureusement il y a trop de mendiants.

Le 10/06/2019 à 11h03

Il est des pays où, sans être interdite, la mendicité n’existe pas. Je me souviens d’un séjour en Jordanie où j’ai constaté l’absence de cette plaie dans les rues d’Amman. Pourtant ce pays n’est pas riche. Mais la pauvreté est apparemment vécue dans la dignité. Je ne parle pas des pays nordiques où, à ma connaissance, personne ne fait de la mendicité un métier. En France, les SDF sont de plus en plus nombreux et ils sont jeunes. Une mendicité organisée s’est développée ces derniers temps dans Paris. Une mendicité accompagnée parfois par des tentatives de vol. Sans stigmatiser une catégorie d’étrangers, tout le monde sait que ce sont pour la plupart des Roumains qui s’installent sur les trottoirs en famille, tendant la main aux passants.

Au Maroc, la mendicité a toujours existé; avec le temps elle a pris des formes diverses et variées. La ministre de la Famille et de la solidarité vient de proposer de l’interdire et de pénaliser ceux qui donnent. Avant d’en arriver là, ne faut-il pas mettre sur pied un plan pour venir en aide aux vrais pauvres ? Laissons de côté les professionnels de la mendicité, ceux qui utilisent des bébés en s’apitoyant sur leur sort, ou qui jettent dans la rue des enfants devant rapporter à la fin de la journée de l’argent à ceux qui les exploitent. Cela relève de la police et de la justice. On sait comment se constituent les circuits de la mendicité, on connaît ceux qui tirent les ficelles et qui en profitent. La police est au courant de ce manège. Elle ferme les yeux parce que certains patrons de la mendicité, utilisant des enfants, sont des indicateurs. Ils donnent des informations sur ce qu’ils voient et observent.

C’est une image déplorable que nous donnons aux étrangers qui visitent notre pays. Mendiants et aussi harceleurs. Des touristes bienveillants font remarquer sur les réseaux sociaux que le Maroc est un beau pays, mais malheureusement il y a trop de mendiants. Les Marocains sont aussi dérangés par ces spectacles d’infirmes exhibant leurs bras ou leurs jambes malades, des supposées mères montrant un ou deux bébés endormis, faisant pitié. Il est possible que des services sociaux s’occupent de ces cas, mais paraît-il, certains tiennent davantage à la mendicité qu’à une prise en charge par les services municipaux.

Une fois qu’on a distingué la catégorie des personnes qui mendient parce qu’elles sont vraiment démunies et dans le besoin, et la catégorie dite professionnelle, l’Etat pourrait lutter efficacement contre toutes les formes de mendicité. Des aides pourraient être attribuées à ces personnes, certaines, en bonne santé et encore jeunes, pourraient travailler. Les solutions existent. Il faut juste une volonté et une détermination pour s’attaquer à un problème complexe.

Reste le cas des enfants de rue. Des films, des documentaires ont été réalisés sur ce drame assez répandu dans les principales villes du royaume. On connaît la question. On sait où intervenir et comment extirper ces enfants de ce marécage fait de désespoir, de drogue et de violence. Mais on laisse faire, on détourne les yeux et on regarde ailleurs. On ne veut pas savoir, on se sent coupable et en même temps on n’agit pas. Certes il y a des associations qui font un travail remarquable comme par exemple «Darna» à Tanger. Mais ce n’est pas suffisant.

Voler l’enfance est un viol et un crime. Des enfants tôt jetés dans la misère et la brutalité de la rue, sans lois, sans droits, sans humanité, deviennent très vite des victimes ou des agents du Mal, car ils doivent survivre et faire leur place parmi des loups beaucoup plus aguerris à ce genre de survie.

L’exode rural est à l’origine de ces situations dramatiques. Si l’Etat décide de réparer les failles des campagnes, si le parlement se penche sur ce problème concret et urgent au lieu de passer des heures à polémiquer sur des sujets sans intérêt pour le peuple, si les partis politiques se préoccupent des drames des gens qui ont le malheur d’être pauvres, je suis certain qu’on verra peu à peu la disparition de la mendicité des rues du royaume. Il suffit de le vouloir, il suffit d’y penser et de passer à l’action. Pour cela, il faudra que les mentalités changent et que ceux qui font de la politique soient plus préoccupés par l’intérêt national que par leur carrière et leur égoïsme.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 10/06/2019 à 11h03