Reportage. Ksar El Kébir, la ville-mouroir

Misère d'une ville riche en histoire!

Misère d'une ville riche en histoire! . DR

Ksar El Kébir, théâtre jadis de la glorieuse bataille «Oued El Makhazin» et ancien comptoir commercial florissant, se découvre aujourd’hui le pâle visage d’une ville agonisante, où rien n’intéresse plus une jeunesse en proie à l’incurie, hormis le désir de fuir vers l’Espagne.

Le 16/07/2018 à 14h14

Samedi 14 juillet, 11 heures du matin, douar El Asker. Le mercure est au zénith et s’aventurer hors des murs relève de l’exploit, spécialement pour des visiteurs qui, pour une raison ou une autre, s’aventurent dans ce "chaudron". L’air est irrespirable. L’ambiance, nonchalante. Pas de recours face à la fournaise, en dehors des cafés qui ne désemplissent pas. A table, Ahmed, un joint à la main, n’a qu’une idée en tête. Fuir hors de ce «mouroir» pour se sauver et sauver sa fratrie. «Fuir là-bas, fuir», disait Alphonse de la Martine.

La tentation du large est immense chez une population principalement jeune. Elle l’est d’autant plus en ce début d’été, où des «zmaghris» ayant réussi la traversée (souvent illégalement), n’hésitent pas à afficher sous les yeux égarés des «amis d’hier» restés en rade, leur fameux tableau de chasse (voitures de luxe, chaînes aurifères, devises en euros, etc.). Ce qui conforte davantage Ahmed dans l’idée de fuir un jour vers Cadix, sud de l’Espagne, point de départ pour «une nouvelle vie qui sera en tout cas meilleure que celle que nous menons à Douar El Asker, devenu synonyme de misère et de désespoir», estime Ahmed, résolu.

Une résolution qui bute toutefois contre le récif sécuritaire devenu infranchissable, de part et d'autre de la Méditerranée. Ahmed, à l’instar de ses collègues à Douar El Asker, ne se décourage pourtant pas. Il continue de croire à sa «belle étoile» et dit ne pas avoir l’embarras du choix: risquer sa vie vaudrait mieux que mourir à petit feu!

Face à cette situation surgissent des questions: comment les jeunes de Ksar El Kébir en sont-ils venus à broyer du noir? Pourquoi les autorités locales ont-elles laissé faire? Le déclin de Ksar El Kébir, qui fut jadis le théâtre du succès militaire le plus retentissant de l’histoire du Maroc -la bataille Oued El Makhazin ou «Bataille des trois Rois»- ne mériterait-elle pas un meilleur sort à la mesure de son passé florissant d’ancien comptoir commercial, plaque tournante du trafic de marchandises du nord vers le sud?

Certainement. Sauf que rien ou presque n’a été entrepris par les autorités élues de cette ville, un fief imprenable du Parti justice et développement (PJD, au pouvoir). Le problème des eaux usées qui étaient déversées dans l’oued Loukkos vient à peine d’être résolu, le projet de dédoublement de la voie nationale a été lancé il y a à peine une année… Idem pour la Santé, un projet d’hôpital digne de ce nom se fait encore et toujours attendre. Autant que le projet de tronçon autoroutier pour briser l'isolement...

En attendant des lendemains meilleurs, la jeunesse continue de «noyer son chagrin» dans la drogue, à la faveur d’un trafic qui, avec la criminalité, est le seul à «prospérer» dans cette ville qui a pourtant donné naissance à des sommités en matière d'art et de culture, à l’image du musicien Abdessalem Amer, du poète Mohamed El khammar El Guennouni, du romancier Mohamed Harradi, pour ne pas parler des autres talents, à l’instar de Mohamed Laghrissi.

Par M'Hamed Hamrouch
Le 16/07/2018 à 14h14