Tribune. Au Maroc, on ne meurt plus d’un cancer comme avant

Un chirurgien, le 7 juin 2019, au centre Georges-François Leclerc de Dijon, traite un patient avec une chimiothérapie par aérosol intrapéritonéal sous pression, pour réduire les métastases péritonéales du pancréas et des voies biliaires dues à un cancer.

Un chirurgien, le 7 juin 2019, au centre Georges-François Leclerc de Dijon, traite un patient avec une chimiothérapie par aérosol intrapéritonéal sous pression, pour réduire les métastases péritonéales du pancréas et des voies biliaires dues à un cancer. . ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Auparavant ce genre de malades étaient abandonnés à leurs crises d’épilepsie ou de démence, jusqu’à ce qu’ils décèdent. L’histoire qui suit, est un témoignage vrai, de l’état d’avancement de la prise en charge thérapeutique des cancers au Maroc.

Le 08/08/2021 à 08h59

Il y a une trentaine d’années, quand on découvrait un cancer chez un enfant, âgé d’un ou deux ans, tout ce que pouvait l’équipe soignante, c’était de demander aux parents de l’emmener mourir parmi les siens.

Aujourd’hui, on ne se contente plus de traiter un cancer chez un enfant, on le guérit complètement. Des millions d’enfants, qui ont présenté dès leur naissance un cancer, sont aujourd’hui pères de famille et hauts cadres dans de grandes sociétés. Avec la découverte de la radiothérapie, les machines détruisaient certes les tumeurs malignes, mais abîmaient également les tissus sains. Avec les nouvelles générations d’appareils, les rayons ciblent les cellules cancéreuses au millimètre près. En épargnant les tissus sains.

Il y a deux ou trois décennies, aucun chirurgien marocain n’osait ouvrir la boîte crânienne pour aller extirper un cancer agrippant le cerveau. Aujourd’hui, ils et elles sont des neurochirurgiens marocains, qui manipulent avec virtuosité des outils chirurgicaux, pour enlever des tumeurs malignes cérébrales de quelques centimètres.

Auparavant ce genre de malades étaient abandonnés à leurs crises d’épilepsie ou de démence, jusqu’à ce qu’ils décèdent. L’histoire qui suit, est un témoignage vrai, de l’état d’avancement de la prise en charge thérapeutique des cancers au Maroc.

Moustaches grisonnantes, sourire aux lèvres, yeux pétillants sous ses lunettes et malgré une claudication à la marche, Khaled avance avec précaution sous le regard bienveillant de son épouse. Il s’installe sur un fauteuil. D’une voix basse, il évoque le chemin qu’il a parcouru avec son cancer du cerveau, qu’il combat avec ténacité depuis le début des années 1990.

Aujourd’hui, en août 2021, 31 ans après l’apparition des premiers signes de la maladie, Khaled évoque sa passion pour les mathématiques et son projet de préparer un doctorat dans une université anglaise. Actuellement, il a un grand poste de responsabilité dans l’administration marocaine. El malgré l’allongement de l’âge de la retraite, il atteindra bientôt l’âge où l’on quitte la fonction publique. Khaled est diplômé d’une grande université suisse.

Depuis le début des années 90, Khaled a cohabité avec son cancer cérébral, grâce à un suivi médical et thérapeutique très rigoureux.

Le passage au XXIe siècle a été plein de soubresauts pour Khaled. Il a divorcé d’avec sa première femme, il a bénéficié de l’ablation chirurgicale de sa tumeur cérébrale et il s’est remarié. Boutaina, sa seconde épouse, partage sa vie depuis cette date. Ils sont aujourd’hui parents de 2 enfants. Deux garçons jumeaux, nés par fécondation in vitro en 2005. Boutaina se rappelle qu’elle a dû faire un voyage jusqu’à Fnideq, au nord du Maroc, pour récupérer un médicament nécessaire à la fertilité de la femme, acheminé depuis la France, via l’Espagne. Et cela, dans la perspective d’une fécondation in vitro. A l’époque, ces médicaments n’étaient pas encore commercialisés au Maroc.

Leur médecin, cancérologue et radiothérapeute a réalisé des prouesses avec Khaled. Les machines de radiothérapie de l’époque, certes efficaces, sont non moins assez agressives localement pour les patients. Par ailleurs, ce même médecin leur a déconseillé toute conception, du fait que la fertilité masculine était momentanément défaillante, du fait de la chimiothérapie.

Khaled se souvient avec émotion de l’ablation chirurgicale de son astrocytome (une tumeur développée à partir des cellules gliales, qui constituent le tissu de soutien des neurones), à Rabat, par un excellent neurochirurgien. Il est resté 4 heures sur le billard.

Il tient par ailleurs à remercier l’organisme marocain de prévoyance sociale, qui lui a permis de bénéficier des meilleurs traitements disponibles au Maroc. Et bien qu’il ait eu la possibilité d’être pris en charge en France, il a préféré être soigné par des équipes médicales marocaines, ce qui lui a d’ailleurs permis d’être entouré d’un soutien familial, psychologiquement indispensable.

Et tout en soulevant son béret, comme signe d’au revoir, il a effleuré avec douceur la cicatrice qui traverse son crâne d’avant en arrière… Tout en tendant l’autre main à son épouse, qui, au volant de leur voiture, les ramènera tout à l’heure à Casablanca, dans leur foyer familial.

*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.

Par Anwar Cherkaoui
Le 08/08/2021 à 08h59