Tribune. L’Âgisme, attention à l’exclusion des circuits de la santé

Un volontaire (à droite) tient la main d'un malade d'Alzheimer pendant le déjeuner dans une maison de retraite pour patients atteints de cette maladie, à Dax, dans le sud-ouest de la France (photo d'archives du 9 septembre 2020).

Un volontaire (à droite) tient la main d'un malade d'Alzheimer pendant le déjeuner dans une maison de retraite pour patients atteints de cette maladie, à Dax, dans le sud-ouest de la France (photo d'archives du 9 septembre 2020). . Philippe LOPEZ / AFP

La population du Maroc dite des seniors, dont l’âge est supérieur ou égal à 60 ans, a quasiment doublé entre 2004 et 2021. C’est un des constats du dernier travail sur la gérontopsychiatrie au Maroc, présenté par la Dr Maria Saber, professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine et de pharmacie de Rabat.

Le 21/11/2021 à 08h00

La population des 60 ans était de 1 million en 1960. Elle est passée à 2,4 millions en 2004 pour atteindre 4,3 millions en 2021. Selon les prévisions, cette catégorie de la population marocaine est estimée à 5,8 millions en 2030. 

Le travail du Pr Saber confirme les résultats du dernier rapport du conseil économique et social: la vulnérabilité socio-économique des seniors. Plus de la moitié souffre d’au moins une maladie chronique. Près du tiers d’entre eux sont en situation de dépendance physique et financière. Et seul une personne âgée sur 5 bénéficie d’une couverture médicale.

La situation des personnes âgées au Maroc pose la problématique de l’âgisme dans toutes les dimensions.

L’âgisme regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l’âge.

Et un grand nombre de personnes âgées sont exclues des systèmes de santé à cause de leur âge.

Selon l'Union européenne, l'âgisme est un préjugé contre une personne ou un groupe en raison de l'âge.

Selon l'Observatoire de l'âgisme, l'âgisme est pour l'âge ce que le sexisme est au sexe ou ce que le racisme est aux "races"

Selon un nouveau rapport des Nations Unies consacré à l’âgisme, une personne sur deux dans le monde aurait des attitudes âgistes, ce qui a des conséquences négatives sur la santé physique et mentale des personnes âgées et leur qualité de vie. Et on a estimé que ce genre de comportements coûte chaque année des milliards de dollars.

Ainsi, le rationnement des soins de santé sur des critères exclusifs d’âge est par exemple très répandu.

Une revue systématique menée en 2020 a ainsi montré que, dans 85% des études couvertes, l’âge avait servi à déterminer les bénéficiaires de certains actes médicaux thérapeutiques.

Et une des principales maladies qui apparaît avec l’avancement dans l’âge et à laquelle, il faut accorder beaucoup d’importance: la démence sénile, dont le chef de fil est la maladie d’Alzheimer.

D’ici 2050, la démence sénile touchera 152 millions de personnesIl faut comprendre par démence, un déclin des aptitudes mentales assez grave pour interférer avec une vie quotidienne normale. Les pertes de mémoire en sont un exemple. La maladie d’Alzheimer est la forme la plus commune de démence.

La démence toucherait près de 50 millions de personnes, dont environ 60% vivent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Et des études prospectives indiquent que près de 10 millions de nouveaux cas sont répertoriés chaque année dans le monde.

Et cela donne des frissons dans le dos, les personnes touchées par la démence seront en nombre de 82 millions en 2030 et ce nombre atteindra les 152 millions en 2050, selon les projections de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

La démence a des répercussions négatives sur les personnes qui en souffrent et elle engendre également des conséquences néfastes très importantes sur le plan économique et social.

Ainsi, en 2015, l’OMS a estimé le coût économique de cette pathologie dans le monde à environ 818 milliards de dollars, soit 1,1% du PIB mondial.

Et donc, le coût total en pourcentage du PIB varierait entre 0,2% dans les pays à revenu faible et 1,4% dans les pays à revenu élevé.

Si l’OMS considère cette pathologie comme une priorité de santé publique, est ce le cas dans tous les pays? Ce n’est pas sûr.

Pour assurer de convaincre les différents gouvernements de l’urgence à se préparer contre ce nouveau fléau qui progresse à l’insu des jeunes générations, l’OMS a mis en place plusieurs mesures dans l’objectif d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de démence, de leurs aidants et de leurs familles.

Ainsi, l’OMS a mis en place le Plan Mondial d’action de santé publique contre la démence (PMASPD).

Plusieurs objectifs sont dans le viseur de ce plan de l’OMS contre la démence, notamment l’amélioration du diagnostic de la maladie et de la prise en charge des personnes malades.

Il est évident qu’aujourd’hui, la science médicale n'a pas encore découvert de traitements qui peuvent guérir cette pathologie très lourde. Mais l’OMS préconise une prise en charge multidisciplinaire ciblant les symptômes ou les affections associées, comme la perte d’autonomie, les troubles cognitifs et les troubles psycho-comportementaux. Avec un but précis, améliorer la qualité de vie des personnes malades.

Un autre levier capital pour contrecarrer les effets néfastes de cette pathologie qu’est la démence, est le soutien psychologique des familles car il permet de casser l’isolement des familles, dont un des membres souffre de démence.

Il est temps aujourd’hui au Maroc de prendre conscience que nous avons une population de malades atteints de démence, d’y accorder l’importance que cela mérite et cela penser aux familles, qui souffrent en silence, ne sachant pas comment se comporter avec un malade atteint de démence.

Sous d’autres cieux, il y a des formations spécifiques destinées aux aidants des malades dont l’objectif est de leur permettre de mieux connaître la maladie et surtout leur apprendre comment se comporter avec une personne malade de démence. 

Au Maroc, les familles dont l'un des membres est atteint par la maladie d’Alzheimer, ne sont pas suffisamment informées et sensibilisées à cette maladie, et peinent à adopter les gestes et comportements appropriés. Livrées à elles mêmes, beaucoup s’épuisent dans cette prise en charge quotidienne, faute d’être épaulées par des centres spécialisés et des structures hospitalières adéquates, qui sont quasiment inexistants chez nous. 

*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.

Par Anwar Cherkaoui
Le 21/11/2021 à 08h00