Tribune. L’odyssée de la vaccination au Maroc de 1987 à nos jours

Un nourrisson reçoit un vaccin d'un pédiatre dans son cabinet médical, au Maroc.

Un nourrisson reçoit un vaccin d'un pédiatre dans son cabinet médical, au Maroc. . MAP

La campagne de vaccination contre le Covid-19 s’accapare tout l’espace médiatique, au préjudice d’autres pathologies. Y a-t-il des perturbations concernant le programme de vaccination des enfants au Maroc? Rien n’a été communiqué jusqu’à présent par les autorités de tutelle.

Le 15/08/2021 à 10h01

En 1987, au Maroc, seuls 30% des enfants en bas âge (de la naissance à 5 ans), étaient vaccinés contre les 6 maladies cibles de l’enfance (la tuberculose, la coqueluche, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la rougeole).

Le Maroc perdait chaque année 30 000 enfants. Grâce aux campagnes nationales de vaccination, en dix ans, entre 1988 et 1999, la vaccination contre les six maladies de l’enfance a couvert de 95 à 98% des enfants marocains.

Cet acquis est-il aujourd’hui menacé à cause du Covid-19? Car, avec cette pandémie, la couverture vaccinale à travers le monde contre les six maladies précitées risque de régresser, avertit l’OMS. Avec la vampirisation de tout l’intérêt vaccinal sur le Coronavirus, il convient de faire très attention à la résurgence de ces maladies mortelles ou très handicapantes pour les enfants.

Vaincre les six maladies cibles de l’enfance au Maroc n’a pas été un long fleuve tranquille. C’est en tout cas ce qu’atteste feu l’ancien ministre de la Santé Taïb Bencheikh (décédé en 2019), dans son livre «Rhapsodie dans un parcours de vie», paru aux éditions Bouregreg à la fin de l’année 2019, peu avant son décès.

Taïb Bencheikh a été le premier ministre de la Santé, non médecin, mais qui a été un homme de chiffres et de gestion. Et la santé publique en avait grand besoin à l’époque. Il raconte ainsi dans son livre qu’«il s'agissait de mobiliser le pays en vue d'éradiquer des maladies bien connues et donc de ramener le taux de mortalité infantile à son plus bas niveau et d'augmenter l'espérance de vie à la naissance».

Et d’ajouter: «je fus surpris de constater que le Premier ministre de l'époque, professeur de médecine, le directeur technique du ministère de la Santé et certains professeurs restaient sceptiques quant à l'utilité d'une campagne de vaccination nationale, arguant que ce genre de campagne convenait aux pays sous-développés et en retard médical important, comme des pays au sud du Sahara». Et Taïb Bencheikh précise que «sur ces entrefaites et discussions, j'eus l'occasion de recevoir la visite du Dr Grant, Directeur général de l'UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l'Enfance). Il offrait généreusement son aide, mais certains la refusaient sous prétexte que la médecine au Maroc n'avait pas besoin d'actions de ce genre».

Le ministre de la Santé de l’époque conclut dans son autobiographie: « l'affaire fut tranchée par le Roi (feu Hassan II). Un soir de Ramadan (en l'an 1987-1988), il nous reçut dans son palais et après que le Dr Grant annonça tout de go que le Maroc perdait 30 000 enfants par an du fait de la non vaccination contre six maladies bien connues (la tuberculose, la polio, la rougeole, la diphtérie, le tétanos et la coqueluche), se tournant vers moi, le Roi (feu Hassan II), dans l'espoir que je conteste ce chiffre, me posa la question, «ces chiffres sont-ils vrais»? Je fais signe que oui. Du coup l'affaire était réglée, la campagne pouvait être lancée».

Aujourd’hui, en cette période de Covid, vingt-trois millions d’enfants, à travers le monde, n’ont pas reçu les vaccins de base dans le cadre des services de vaccination systématique en 2020, soit 3,7 millions de plus qu’en 2019, selon les données officielles publiées par l’OMS et l’UNICEF.

Cette série de chiffres complets sur la vaccination des enfants dans le monde –la dernière en date et la première à refléter officiellement les interruptions de service dans le monde imputables au COVID-19– montre que la plupart des pays ont connu l’année dernière des baisses des taux de vaccination des enfants.

Y a-t-il des perturbations concernant le programme de vaccination des enfants au Maroc? Rien n’a été communiqué jusqu’à présent par les autorités de tutelle.

Cependant, on ne peut que s’inquiéter de constater que dans de nombreux pays à travers le monde, jusqu’à 17 millions d’enfants n’ont probablement pas reçu un seul vaccin au cours de l’année, ce qui creuse encore des inégalités déjà immenses en matière d’accès aux vaccins.

La plupart de ces enfants vivent dans des communautés touchées par un conflit, dans des endroits reculés mal desservis, ou dans des taudis ou des bidonvilles où les privations sont nombreuses, notamment du fait d’un accès restreint aux soins de santé de base et aux services sociaux essentiels.

Qu’en est-il au Maroc dans les coins les plus reculés, ou les équipes de vaccination trouvent de grosses difficultés, pour y accéder? Car, il faut bien le rappeler, que pendant les campagnes de vaccination des années 90, on ne pouvait accéder à des coins montagneux que grâce à des mulets portant personnel et matériel de vaccination

«Alors même que les pays réclament à cor et à cri de pouvoir disposer de vaccins contre la COVID-19, nous avons régressé pour les autres vaccinations, ce qui expose les enfants à des maladies dévastatrices, mais évitables comme la rougeole, la poliomyélite ou la méningite», a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS. La multiplication des flambées épidémiques serait catastrophique pour les communautés et les systèmes de santé qui luttent déjà contre le COVID-19. Il n’en est que plus urgent d’investir dans la vaccination des enfants et de veiller à ce que chaque enfant en bénéficie.

«Nous devrions voir dans ces éléments un avertissement clair: la pandémie de COVID-19 et les perturbations qu’elle entraîne nous font perdre un terrain précieux, ce que nous ne pouvons pas nous permettre. Les conséquences auront un coût sur la vie et le bien-être des plus vulnérables», a déclaré Henrietta Fore, Directrice générale de l’UNICEF. Et d’ajouter: «avant même la pandémie, certains signes inquiétants, comme les épidémies généralisées de rougeole il y a deux ans, montraient que nous commencions à perdre du terrain dans le combat mené pour vacciner les enfants contre les maladies infantiles évitables. Avec la pandémie, une situation déjà mauvaise a encore empiré. La distribution équitable des vaccins contre la COVID-19 est au cœur des préoccupations de tous, mais nous ne devons pas oublier que la distribution des vaccins a toujours manqué d’équité, même si cela ne doit pas être une fatalité».

Les pays qui ont vu un recul alarmant dans la vaccination des enfants en bas âge, sont l’Inde, le Pakistan, l'Indonésie, les Philippines, le Mexique, le Mozambique, l’Angola, la Tanzanie, l’Argentine, le Venezuela et le Mali. Le nombre d’enfants n’ayant pas reçu leurs doses de vaccins varie ente 1 400 000 et 193 000, par pays.

Dans la plupart des pays, les moyens et le personnel ont dans une large mesure été affectés au soutien de la riposte au COVID-19, ce qui a fortement perturbé les services de vaccination dans de nombreuses régions du monde. Dans certains pays, les consultations ont été fermées ou les horaires réduits, tandis que certaines personnes peuvent avoir eu des réticences à se faire soigner par crainte d’une transmission, ou ont eu des difficultés à obtenir des services en raison des mesures de confinement et des perturbations dans les transports. Ce fait a été constaté dans tous les pays du monde.

Au Maroc, on n’a pas de chiffres officiels sur l’impact de l’épidémie de la Covid 19 sur le déroulement des autres consultations, sur les éventuels retards de rendez-vous pour d’autres pathologies, sur le report d’opérations chirurgicales à des dates ultérieures. De même, on n’a pas d’assurances du ministère de tutelle que les programmes de la vaccination de base des enfants de la naissance à 5 ans n’ont pas été perturbés.

*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.

Par Anwar Cherkaoui
Le 15/08/2021 à 10h01