Vidéo. Confessions d’une femme alcoolique devenue «guerraba»

Le360

Notre nouvelle émission donne la parole à ceux et celles qui ne l’ont pas. Ces hommes et femmes pratiquant des activités qui ne sont pas vues d’un bon œil. Après la prostituée de Ain Diab, nous avons rencontré une «guerraba» (vendeuse d'alcool clandestine). Sa vie, son vécu... Elle dit tout à Le360.

Le 12/07/2016 à 18h32

Casablanca. Il fait nuit. Fatima (nom d’emprunt) nous ouvre la porte de sa maison. Nous entrons dans une espèce de hall ouvert sur le ciel, avec des plantes ici et là, des chaises et un chat. «C'est une femelle. Elle s’appelle Lina!», nous dit Fatima qui nous accueille avec un grand sourire et nous invite à nous installer. A notre droite, se trouve une pièce. C’est ici que Fatima dort, vit et mange. «Je ne vous invite pas à rentrer, il n’y a pas assez de place pour nous tous de toute façon», nous lance cette dame à l’allure frêle et au regard vif. Nous restons donc près de l’entrée et sans plus attendre, nous nous asseyons. Micro. Interview.

«Encore fœtus, je planais déjà!»

Fatima, 53 ans, est depuis plusieurs années accro à la bouteille, «m’blia», comme elle dit. Adolescente, elle a commencé à vendre de l’alcool clandestinement. D’abord à ses «amis», puis «aux alcolos du coin» pour subvenir à ses besoins et, par la même occasion, pouvoir s’acheter de quoi noyer ses soucis, avoir sa «dose».

«J’achète, je vends et je bois ». C’est comme ça que Fatima s’autodéfinit. Un cercle vicieux devenu son lot quotidien. Mais elle n’a jamais eu l’ambition de devenir «comme les grands ‘guerrabas’ qui ont des milliers de bouteilles». Elle vend seulement de manière occasionnelle, avec une marge allant de 15 à 30 dirhams sur chaque bouteille vendue. «J’ai moins d’emmerdes comme ça ! Parfois même, je vends de l’alcool à un type, et je partage ensuite la bouteille avec lui !», se réjouit-elle.

Tout a donc commencé par une consommation frénétique et le besoin de vendre pour assurer l’approvisionnement le lendemain. Un éternel retour. Fatima connaît bien son sujet. Drogue, alcool, elle a baigné dedans depuis longtemps. Elle les a dans le sang. «Ma mère me bourrait de plantes somnifères quand j’étais bébé pour qu’elle puisse vaquer à ses occupations et aux tâches ménagères». Son père ? «Il était alcoolique. Alors tu comprends ? Quand j’étais dans le ventre de ma mère, encore un fœtus, je planais déjà!»

«Femme, guerraba, et alors ?»

Etre une femme et plonger dans ce monde un peu sombre qu’est celui des vendeurs d’alcool clandestins, dans une société comme la nôtre, n’a jamais fait peur à Fatima. «Tout est question de volonté. Et puis, quand on est dans le besoin et sur le point de crever de faim, on peut soulever des montagnes», nous dit-elle avant d’interrompre notre interview.

«Je suis fatiguée, on fait une pause ?» Elle se lève et va se chercher un paquet de cigarettes. «Tu vois, moi, j’aime bien ça, m’assoir ici, avec des gens, m’en griller une, boire du vin, me mettre dans le mood, quoi» Elle marque une pause, incite son chat à partir et reprend : «C’est vrai que je suis alcoolique, mais je ne fais de mal à personne».

«Chacun son poison»

Fatima ne se plaint pas de mener la vie qui est la sienne. Elle ne s’en offusque pas. Et ne se justifie pas non plus. Elle aurait aimé faire des études. Elle en a d’ailleurs fait, «un peu». Mais il y avait plus urgent à faire : s’occuper de la maison, des petits frères et sœurs, faire taire les cris, remplir les ventres, savoir gérer les imprévus, les problèmes, et vite passer à autre chose.

«Un beau jour, j’ai pris mon courage à deux mains. J’ai affronté ma famille et dit à chacun ses quatre vérités. Cela n’a servi à rien… Qu’est-ce que cela peut bien changer à ma vie ? Mes parents avaient leurs raisons. C’était comme ça la vie à l’époque».

Des regrets ? Fatima n’est pas le genre à regarder dans le rétroviseur. «Et puis, de toute façon, pour que je change de vie, il faut que je voie un médecin. Il va me donner des calmants et puis quoi encore ? Pourquoi changer de «poison» contre un autre «poison» ? Calmants ou alcool, c’est du pareil au même !»Ainsi va la vie de Fatima, «guerraba» dans un quartier populaire de Casablanca. Cinquantenaire et qui ne paie pas de mine. Les rides ont creusé des sillons dans son visage. Des comme Fatima, il y en a probablement des centaines, des milliers... Elles font partie de notre société.

Par Rania Laabid et Mohamed Chafii
Le 12/07/2016 à 18h32