Vidéo. Islam de France: pour Abdellah Boussouf, «Macron devait faire comme Napoléon avec les Juifs»

le360

Le 23/02/2021 à 13h09

VidéoCommunauté marocaine et crise du Covid-19, débat actuel sur le séparatisme, participation des Marocains du monde aux élections au Maroc et leur apport aux causes sacrées du Royaume… Le Secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Abdellah Boussouf dit tout. Entretien.

D'après vous, qu'a changé la crise du Covid-19 dans les rapports entre les Marocains du monde et leur mère-patrie ?Cette crise a évidemment apporté de nombreux changements. A commencer par cette donne nouvelle qu’est l’éloignement entre le Maroc et sa communauté à l’étranger. Cela nous empêche d’organiser l’ensemble des activités que nous tenions auparavant, que ce soit au Maroc ou ailleurs, et ralentit par conséquent le traitement des questions et attentes des Marocains du monde. Mais cette pandémie a clairement réaffirmé l’attachement des Marocains, où qu’ils soient, à leur mère-patrie.

Nous le voyons notamment à travers les actes de solidarité et d’engagement envers le Maroc. Cela, à travers le Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du Coronavirus auquel ils ont apporté leur contribution financière. Nous le voyons également au travers des transferts d’argent effectués par les Marocains du monde vers le pays. Contrairement à toutes les prévisions d’institutions comme la Banque Mondiale ou l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, Ndlr), qui tablaient sur une baisse de 20% des transferts issus de la migration dans le monde, au Maroc, ceux-ci ont marqué un bond de 5% en 2020, selon l’Office des Changes, pour atteindre 70 milliards de dirhams.

Autre marque de solidarité, celle exprimée par les Marocains de l’étranger vis-à-vis de leurs compatriotes restés bloqués, notamment, dans des pays européens. A travers le tissu associatif, un soutien et une aide humanitaire importants ont été apportés à cette catégorie-là. Je pense notamment aux étudiants marocains à l’étranger et à toutes les aides qui ont été débloquées pendant le mois de ramadan dernier. Sans oublier toutes les initiatives dirigées vers nombre de villes, villages et douars du Maroc tout au long de cette crise. 

Tout cela explique, s’il en faut, cette relation métaphysique qui lie le Marocain à son pays d’origine.

Au CCME, comment vous êtes-vous adaptés aux nouvelles contraintes imposées par le Covid-19 pour rester en contact avec les MDM?Il était clairement difficile de transformer l’ensemble de nos actions et les diriger du réel vers le virtuel. Mais nous avons opéré nombre de changements pour nous adapter, à savoir la création d’équipes et de cellules dédiées et la formation de nos ressources humaines. Nous avons également créé une web TV pour pallier cette absence de contact physique. En somme, nous nous sommes organisés, dans la limite de nos moyens, pour maintenir le lien avec notre communauté à l’étranger, d’abord pour servir de courroie de transmission de leurs attentes et, ensuite, pour leur témoigner notre soutien et solidarité en ces temps difficiles. Aujourd’hui, nous sommes assez outillés et expérimentés pour poursuivre ce travail, notamment à travers les leviers digitaux. A ce titre, nous sommes en phase de préparation d’un nouveau programme dans la perspective du mois de ramadan prochain.

Sur ce registre, le Maroc avait coutume d’envoyer chaque année des centaines de prédicateurs, pour accompagner spirituellement sa communauté à l’étranger. L’année dernière comme cette année, cela ne nous a pas été possible. Les mosquées ont également été fermées. Cela laisse une brèche pour certains mouvements islamistes radicaux qui ont toujours ciblé nos Marocains du monde. Ces mouvements viennent d’ailleurs, mais ont une présence ancienne sur la Toile. Nous redoublons d’efforts pour contrecarrer cette influence et immuniser notre communauté.

Après la menace terroriste, des pays comme la France brandissent actuellement celle du radicalisme et du séparatisme en Europe, stigmatisant sur leur sillage l’islam et les musulmans. Comment se place le Maroc dans ce débat et face à cette nouvelle littérature?Les questions liées à l’intégrisme, le radicalisme et le séparatisme ne datent pas d’aujourd’hui en Europe. Le monde y fait face depuis de nombreuses années. L’Europe et la France en particulier ont engagé ce nouveau débat sur le séparatisme suite à l’assassinat de Samuel Paty (enseignant en philosophie, décapité vendredi 16 octobre 2020 par un islamiste radical à Conflans-Sainte-Honorine, en France, Ndlr).

La France a totalement le droit d’enclencher des débats politiques pour apporter des réponses à des questions de société. Mais aucune solution ne saurait être imposée d’en haut. C’est le constat aujourd’hui, puisque c’est le président Emmanuel Macron qui a demandé aux musulmans de ce pays de réagir à ce qui s’apparente à un fait accompli. Or, à mon sens, il aurait fallu, et en amont, une large implication des différentes acteurs liés à cette problématique pour pouvoir aboutir aux actions adéquates. L’approche adoptée aujourd’hui est purement sécuritaire. Celle-ci est certes nécessaire, indispensable et intéressante à bien des égards, mais elle n’est pas suffisante. Il aurait été préférable de s’intéresser au premier abord aux problèmes socio-économiques que vivent ces jeunes radicalisés pour pouvoir comprendre les raisons de ce phénomène.

Il va de soi que l’on devait engager des réflexions théologiques pour formuler les adaptations nécessaires de la pratique religieuse dans une société laïque, démocratique et de droits de l’homme. C’est nécessaire, souhaitable et c’est demandé. Mais pour cela, il fallait s’appuyer sur des théologiens. Or, seuls les présidents d’associations ont été concertés dans l’élaboration de la Charte des principes de l’islam de France et la Loi contre le séparatisme dont nous parlons en substance.

J’aurai aimé que Macron fasse comme Napoléon avec les juifs en 1807 (date à laquelle l’Empire a structuré le culte hébraïque, de manière à respecter les lois françaises, Ndlr). Ceci, en ayant invité les rabbins, soit ceux-là mêmes qui étaient habilités à donner un avis religieux. C’est le meilleur gage pour que ces avis, et toute décision qui en découle, soient effectivement suivis par les communautés.

A l'approche des élections, la question de la participation des Marocains du monde au processus démocratique national se pose avec insistance. Cette question, est-elle toujours d’actualité?La participation politique des Marocains du monde à la chose publique dans leur pays d’origine est un droit. Elle figure d’ailleurs dans la Constitution de 2011. Mais elle n’est pas appliquée et elle est loin d’être le seul manquement. Aucun des articles de ce texte suprême qui sont en relation avec la communauté marocaine à l’étranger n’est encore mis en oeuvre, en sachant que le Maroc a été parmi les tous premiers pays à accorder ce droit à ses citoyens du monde. C'était en 1984, avant qu’il y ait eu un retour sur cette décision, sous l’ère Youssoufi (Premier ministre socialiste de 1997 à 2002, Ndlr).

Comment expliquez-vous cette situation?Personnellement, je ne trouve pas d’explication à ce fait, si ce n’est que c’est une question de priorités pour le gouvernement.

Cette participation figurait parmi les préoccupations majeures de notre conseil et ce, depuis sa création. C’est pour cela que nous avons créé un groupe dédié: «Citoyenneté et participation politique». En son sein, avec les autres membres du conseil comme avec les différentes parties prenantes, les formations politiques et les parlementaires notamment, ce groupe a engagé de larges débats. Nous avons même édité un livre en la matière et dans lequel on a établi des comparatifs avec les pratiques en cours dans le monde.

Du travail précité, nous avons conclu que le Maroc se devait d’inventer son propre modèle, aucun exemple existant ne pouvant être calqué. A travers ce livre et depuis 2012, nous avons émis un certain nombre de recommandations, l’idée étant d’entamer cette intégration des Marocains du monde à la chose publique par le biais de la Chambre des conseillers, avec les syndicats, les organisations professionnelles, le patronat, etc.

Cela aurait été un pas vers une participation des MDM à la Chambre des représentants et plus encore. Mais depuis, nous sommes dans l’attente. Malheureusement, ce débat ne ressurgit que ponctuellement, à l’approche de chaque scrutin électoral. Ce n’est pas un bon signe. Cette problématique mérite un débat large et sur la durée, si nous voulons aboutir à un consensus.

Là encore, il s’agit de l’application d’un principe constitutionnel. Celle-ci suppose de la clarté. C’est au gouvernement d’en faire preuve et de baliser le terrain.

Les récents évènements autour de la question du Sahara marocain ont montré l'engagement et l'efficacité des Marocains du monde dans la défense de l'intégrité territoriale du Royaume. Comment valoriser cet effort et le faire rayonner davantage?Les Marocains du monde ont toujours été aux premières lignes pour défendre les cause sacrées du Royaume. Autant, il est facile de dire au Maroc que le Sahara est marocain, autant cette tâche s’avère difficile ailleurs, face à ennemis farouches de notre intégrité territoriale et aux séparatistes. À Genève, Paris, Madrid et partout ailleurs, au sein d’instances comme l’Unesco, l’ONU ou le Parlement Européen, les Marocains du monde sont mobilisés pour porter haut la voix de leur pays d’origine.

Notre mission au sein du CCME est de les outiller. D’où notre programme de plaidoyer et de formation que nous avons élaboré avec l’université Mohammed V de Rabat. C’est ce que notre communauté à l’étranger nous demande aujourd’hui: de la connaissance. Les liens historiques entre le Maroc et son Sahara, les efforts de développement économique et social actuellement en cours… Autant de données qui demeurent méconnues et qu’il nous appartient de valoriser, mettre en exergue et présenter. Cet effort ne peut faire l’économie de l’outil digital aujourd’hui, un terrain qu’investissent nos adversaires à coups de fake news. Et les Marocains du monde sont au front sur ce registre.

Au gouvernement, là encore, de rendre ce précieux travail plus lisible, et plus efficace.

Par Mehdi Heurteloup
Le 23/02/2021 à 13h09