Pourquoi les banques participatives sont déjà à court de ressources

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Les dépôts collectés par les banques participatives évoluent moins vite que les crédits. Faute de disponibilité d’instruments de refinancement conformes à la Charia, la situation peut devenir inquiétante. Le point avec Abdessamad Issami, président du directoire de Umnia Bank.

Le 24/06/2018 à 12h54

Depuis le lancement de l’activité «banque participative» au Maroc, en juillet 2017, le volume global des crédits accordés à la clientèle, toutes enseignes confondues, s’élève à 1,1 milliard de dirhams. Le chiffre a été communiqué par le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, lors de son point de presse trimestriel, mardi 19 juin à Rabat. «Cela dénote l’intérêt des Marocains pour les produits bancaires participatifs», commente Abdessamad Issami, président du directoire de Umnia Bank (la première banque à avoir obtenu l’agrément de BAM).

Issami invite à comparer ce bilan à celui des produits bancaires alternatifs introduits par BAM en 2010. «L’encours des crédits distribués par les banques participatives a atteint en moins d’un an l’équivalent des volumes cumulés en huit ans lors de l’expérience des produits alternatifs», constate-t-il.

Les banques participatives disposent-elles de suffisamment de ressources financières pour maintenir cet élan? La réponse est non. Seraient-elles déjà à court de fonds? La réponse est oui. Si cette situation perdure, le risque de voir le robinet du crédit se fermer n’est pas à exclure.

Pour mieux saisir cette problématique, il convient de regarder de plus près la structure des ressources d’une banque. Celles-ci se composent du capital apporté par les actionnaires, des dépôts à vue et des dépôts rémunérés. Si le capital doit servir à faire face aux dépenses liées à l’investissement (le système d’information, l’équipement des agences, les salaires, etc.), les dépôts permettent de financer le crédit. C’est là que réside le rôle d’intermédiation assigné au secteur bancaire. La raison d’être d’une banque consiste à transformer les dépôts en crédits. Encore faut-il que ces dépôts évoluent dans des proportions au moins équivalentes à celle des crédits.

Pour l’heure, les banques participatives marocaines sont autorisées à collecter uniquement des dépôts à vue. Les dépôts rémunérés (appelés dépôts d’investissement dans le jargon de la finance islamique) ne sont pas prêts. Les contrats correspondants sont en cours d’approbation. Or les dépôts à vue, à eux seuls, ne suffisent pas. «L’évolution de la demande de financement a été beaucoup plus importante que celle des dépôts à vue», témoigne le patron de Umnia Bank. Les premiers chiffres détaillés de l’activité seront disponibles vers fin septembre, à l’occasion de la publication des résultats du premier semestre 2018.

«Contrairement aux banques classiques qui comptent plusieurs décennies d’existence, les banques participatives ne disposent pas encore d’un coussin important de dépôts pour faire face à la croissance des demandes de crédit», souligne Issami. Pis encore, à ce jour, aucun instrument de refinancement n’est mis à leur disposition pour combler le gap entre les dépôts et les crédits. Les banques conventionnelles, elles, en cas de besoin de liquidités, ont l’embarras du choix: elles peuvent se financer soit chez leurs consoeurs (marché interbancaire), soit auprès de la Banque centrale, soit en émettant des certificats de dépôt, des obligations, etc.

Les banques participatives sont appelées à émettre des sukuks, une sorte de certificat d’investissement, l’équivalent des obligations de la finance classique. Seulement, elles doivent attendre quelques semaines, voire quelques mois. Car là encore, à l’instar des dépôts d’investissement participatif, l’arrêté qui fixe les modalités d’application des sukuks se trouve à l’étude et n’a toujours pas reçu l’aval du Conseil supérieur des Oulémas (CSO). «Les Oulémas travaillent même les week-ends pour activer les choses. J’espère qu’ils ne vont pas émettre une fatwa contre nous», avait lancé le wali Jouahri avec sa pointe d’humour habituelle, face aux journalistes mardi dernier, tout en confirmant les informations selon lesquelles les premiers sukuks seront émis en juillet.

On sait aujourd’hui que la première émission de sukuks émanera de l’Etat. On parle alors d’une émission souveraine. Celle-ci servira de benchmark pour les émissions «privées» qui s’ensuivront, y compris les sukuks des banques participatives. Mais en attendant l’arrivée des sukuks et des comptes d’investissement participatifs, histoire de ne pas rester les bras croisés, le wali de BAM a laissé entendre qu’une solution sera trouvée entre-temps.. «Une réflexion est effectivement enclenchée en s’inspirant de la pratique et des schémas existants à l’échelle internationale. Un contrat dans ce sens a été soumis à l’approbation du CSO», confirme le président du directoire de Umnia Bank.

Par Wadie El Mouden
Le 24/06/2018 à 12h54