Nous vivons dans une bulle

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ChroniqueHier sous-informés, aujourd’hui surinformés, nous sommes une proie facile pour les «bulles de filtres» qui orientent et peuvent biaiser notre vision du monde.

Le 17/12/2016 à 18h00

Dans le monde qui nous entoure, le plus important et le plus dur n’est plus de s’informer mais de comprendre et faire la part des choses. L’information, le renseignement, nous tombent dessus comme une averse d’automne. Le nouveau réflexe est de dire: je sais, je suis au courant. Nous croyons être au courant de tout. Où que nous soyons, nous pensons tout savoir. Rien ne nous échappe.

C’est une illusion, bien entendu. Nous vivons dans une bulle. Et toutes les bulles sont de savon, qu’elles soient idéologiques ou technologiques. Le meilleur ami de l’homme n’est plus son chien mais son téléphone portable. Il suffit d’ouvrir son téléphone pour que le déferlement d’informations et de potins nous prenne à la gorge.

La première source d’information aujourd’hui n’est pas humaine. Elle est technologique. Elle s’appelle Google, Facebook, et autres machines d’agrégation tous azimuts. Ces opérateurs nous informent et vont même plus loin: ils organisent notre mode de pensée, ils mettent en place des filtres, ils se prennent quelque part pour nous et décident de ce qui nous correspond, ce qui nous ressemble, ce qui nous plait.

Tout vient de ce qu’on appelle le newsfeed, ce fil d’actualité qui nous accueille dans le nouveau monde, celui qui nous dit bonjour quand on ouvre le téléphone. Ce «machin» intelligent hiérarchise le flot d’informations, les trie en données principales ou secondaires. Il nous prend la main et nous concocte un menu à la carte, ce que nous allons consommer, et dans quel ordre.

Nous sommes ainsi formatés selon le vieux principe de qui se ressemble s’assemble. Tout entre en ligne de compte. L’âge, la nationalité, la religion ou la culture religieuse, l’emplacement géographique, l’historique accumulé dans nos moteurs de recherche. Nous sommes réduits à des profils. Nous rentrons dans une catégorie comme dans un tiroir. Nous sommes rangés dans des paniers, des cases. Nous sommes entièrement redéfinis et reprogrammés selon l’historique de notre relation avec le web, et avec ce tout petit objet qui rentre dans toutes les poches: le téléphone.

Tous ces algorithmes et ces bulles de filtre se comportent en soi disant «amis». Ils croient nous connaitre et se permettent de définir nos priorités et nos centres d’intérêt. Ils flattent notre ego, nous caressent dans le sens du poil, confortent notre vision du monde, renforcent nos idées. Et nous emprisonnent davantage dans la bulle qui a été créée pour nous.

Le problème avec cette bulle artificielle, c’est qu’elle a des effets secondaires. Elle fait, comme le rappelle le journal allemand Der Spiegel, un internaute ne reçoit que des contenus qui corroborent son regard sur le monde. La bulle nous communautarise et peut facilement menacer la circulation des idées, biaiser le débat public, et installer les idées reçues, voire les mensonges, en vérités absolues.

Le problème se pose aujourd’hui dans un pays comme le Maroc. Nous sommes passés en peu de temps, d’une très faible utilisation des médias classiques à une surexploitation des médias électroniques. Longtemps sous-informés ou très peu nombreux à être informés, nous voilà subitement surinformés, la transition ayant été opérée en un temps record. Nous n’allons plus vers l’information puisque celle-ci nous arrive, nous tombe dessus, nous envahit, par tous les canaux possibles. Nous ne la cherchons plus, nous la subissons.

Alors méfions-nous de ce petit monde virtuel qui s’ouvre à nous quand nous ouvrons nos téléphones. Ce n’est pas cette intoxication subite, ciblée, à la limite non désirée, qui nous aidera à mieux comprendre ce qui nous entoure, le monde réel dans lequel nous vivons.

Par Karim Boukhari
Le 17/12/2016 à 18h00