Partir oui, mais pour faire quoi?

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ChroniqueIls sont comme devant une loterie et choisissent selon des calculs bien simples: voyons, quelle est la nationalité la plus simple à obtenir, la plus pratique et la plus avantageuse dans mon cas?

Le 23/11/2019 à 10h10

Il y a un dicton marocain qui dit à peu près que celui qui ne veut pas se conformer aux standards d’un pays n’a qu’à le quitter. Tu n’es pas content? Pars, pars.

Les vagues d’immigration parties de ce pays, et la «fuite des cerveaux» à laquelle nous assistons, répondent à ce principe. Ils ne gagnaient pas suffisamment d’argent, n’étaient pas assez libres, sécurisés, rassurés, alors ils sont partis. Ils sont partis voir si l’herbe pousse plus vite ou si elle est plus verte ailleurs. C’est la même logique de fond.

Les motifs de départ ont été tellement analysés que l’on a oublié de faire une autre analyse. Partir où et pourquoi faire ? Pour devenir qui et quoi, surtout?

J’ai toujours été impressionné par le nombre de personnes souhaitant acquérir la nationalité française, espagnole, américaine, canadienne. Ils sont comme devant une loterie et choisissent selon des calculs bien simples: voyons, quelle est la nationalité la plus simple à obtenir, la plus pratique et la plus avantageuse dans mon cas?

Ce qui est impressionnant ici, c’est la légèreté avec laquelle, parfois, voire souvent, ce genre de décisions, pourtant très lourdes, très importantes, sont prises.

Comme si adopter une deuxième nationalité était un diplôme à obtenir, un concours à réussir.

Comme si cela n’impliquait pas, en principe, toute une réflexion sur soi, sur ce que c’est que d’intégrer et faire partie d’une nouvelle société, avec ses règles, ses lois.

Comme s’il suffisait de choisir un nouveau pays sans l’aimer, sans éprouver le besoin de le connaître, de le servir au besoin, de se plier à toute une série de nouvelles exigences et de faire surtout un vrai effort sur soi…

Quand on quitte son pays, on va quelque part. On ne reste pas dans un territoire indéterminé. Ce n’est pas le hasard, pas une histoire de fuite en avant et de sauve qui peut. Il y a un choix à faire, à réfléchir et à assumer.

Ce choix ne peut pas être fait en fonction, simplement, des paramètres liés à la vie quotidienne, pratique: est-ce que c’est simple et pratique à faire? Combien je vais gagner?

Il faut aussi se poser d’autres questions. Il est temps de le faire.

Ceux qui partent ne peuvent pas seulement raisonner en termes d’acquis et de droits. Ils ne peuvent pas dire: voilà ce que je veux, ce que j’attends. Il faut qu’ils apprennent aussi à réfléchir en termes de devoirs. Ce n’est pas simple.

Ils attendent une vie meilleure pour eux et leurs enfants, et ils ont raison. Rien n’est plus légitime. Mais, qu’est-ce que leur nouveau pays est en droit d’attendre d’eux ? Qu’est-ce qu’ils sont prêts à lui donner? A quelles règles nouvelles de la vie en société devront-ils se plier? Quelles normes? Est-ce que cela correspond à leur nature ? Est-ce qu’ils sont au fond faits pour ça?

Le pire, c’est de choisir un nouveau pays, une nouvelle nationalité, une nouvelle société, sans les aimer, sans jamais s’y retrouver, en restant hostile, fermé, étranger.

Pourquoi les avoir choisis, finalement?

Par Karim Boukhari
Le 23/11/2019 à 10h10