La question de l’Ituri

L’Afrique réelle

ChroniqueLes massacres qui se déroulent en Ituri ont d’abord une origine ethnique. Il s’agit de la poursuite de la séculaire opposition entre Héma et Lendu, une résurgence de conflits précoloniaux aujourd’hui aggravée par des données contemporaines: démographie et lutte pour les richesses naturelles qui se surimposent à la longue durée historique régionale.

Le 15/03/2022 à 11h00

Depuis les années 1990, dans l’est de la République démocratique du Congo, l’Ituri est le théâtre d’une atroce guerre opposant Lendu et Hema. Ces sanglants affrontements ethniques provoquèrent l’intervention de l’ONU et celle de l’armée française avec l’opération Artémis. Après quelques années de calme apparent, la guerre a aujourd’hui repris.

La région de l’Ituri tire son nom du principal fleuve qui la traverse. Région de hautes terres comprise entre la grande forêt congolaise à l’Ouest et le lac Albert à l’Est, à l’exception de ses zones bordières du lac Albert, elle jouit d’un climat salubre, propice tant à l’élevage qu’à l’agriculture, ce qui explique ses fortes densités humaines et la variété de ses habitants.

L’Ituri est également un carrefour géographique, climatique et humain dans lequel se sont superposées plusieurs strates de populations souvent entremêlées, ce qui rend difficilement compréhensibles ses actuels problèmes.

Les massacres qui se déroulent en Ituri ont d’abord une origine ethnique. Il s’agit de la poursuite de la séculaire opposition entre Héma et Lendu, une résurgence de conflits précoloniaux aujourd’hui aggravée par des données contemporaines: démographie et lutte pour les richesses naturelles qui se surimposent à la longue durée historique régionale. Cependant, il faut bien voir que, même si l’or et les diamants alimentent les trésors de guerre, ils n’en sont pas la cause.

Le puzzle ethnique de l’Ituri est composé de dix ethnies principales.

Les Héma (ou Hima) font partie de ce grand ensemble pastoral qui se retrouve dans toute l’Afrique interlacustre et dont les populations ont ailleurs le nom de Tutsi ou de Hima. Nulle part, ils ne forment un ensemble territorial homogène et cela en raison de leur mode de vie pastoral.

Aujourd’hui, localement submergés par les Lendu, ils ont, dans certaines zones, subi une véritable épuration ethnique et se sont largement regroupés autour des villes comme Kasenye et Bunia.

Les Lendu forment un peuple soudano/nilotique autrefois vaincu par l’alliance Bira-Héma. Les Bira et les Hima les méprisent. Asservis par les Héma, ils ont été dégagés de leur statut inférieur par la puissance coloniale belge.

La vie politique de l’Ituri est ethnique et elle est organisée autour de partis ethniques. Le plus ancien est né au lendemain du renversement du maréchal Mobutu en 1996. Il s’agit du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie), mouvement créé de concert par Kigali et par Kampala. Le RCD éclata ensuite en deux tendances, l’une alignée sur l’Ouganda, l’autre sur le Rwanda:

- Celle qui était alignée sur le Rwanda fut désignée sous le nom de RCD-G (Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma).

- Celle qui dépendait de l’Ouganda prit le nom de RCD-ML (Rassemblement congolais pour la démocratie- Mouvement de libération) dont l’autorité s’étendait depuis le nord Kivu jusqu’à l’ouest de Walikale. Mbusa Nyamwisi, un chef Nandé qui en prit le contrôle, rebaptisa le mouvement RCD-ML-K (Rassemblement congolais pour la démocratie-Mouvement de libération-Kinshasa) afin de signifier qu’il était pour l’unité et l’intégrité du pays.

Puis fut créé le RCD-N (Rassemblement congolais pour la démocratie-National) dirigé par Roger Lumbala, un dissident du RCD-G.

En 2001, la guerre du Congo redoublant d’intensité, le président Museveni d’Ouganda souhaita unifier ces divers mouvements afin de pouvoir peser davantage encore sur les évènements, et il invita leurs dirigeants à se fédérer dans un Front de libération du Congo (FLC). Mais les Nandé de Mbusa Nyamwisi qui contrôlaient le RCD-ML-K refusèrent et une guerre de tous contre tous éclata alors.

En 2002, face à l’anarchie, l’armée ougandaise intervint, puis l’ONU se porta garante d’un accord de paix régional. En échange du départ des troupes ougandaises, l'ONU s'engagea à déployer un contingent chargé d’assurer la paix publique. 

Le 24 avril 2003, l’armée ougandaise évacua l’Ituri au moment où la Monuc 1 (Mission d’observation des Nations Unies pour le Congo) y prenait position. Mais le contingent uruguayen ne put protéger la ville de Bunia qui fut livrée à une sanglante guerre ethnique, les miliciens Lendu.

L’ONU décida alors de renforcer son dispositif sous forme de Monuc 2 composée de 3800 hommes, mais il fallait trois mois pour les rassembler. Et durant ces quatre-vingt-dix jours, les massacres n’allaient pas cesser. C’est alors que la France intervint avec l’Opération Artemis (6 juin-6 septembre 2003) opération européenne sous mandat des Nations Unies. Son objectif était de sécuriser la ville de Bunia et son aéroport afin de préparer la venue de la Monuc 2.

Après 2003, le conflit de l’Ituri se ralluma périodiquement en raison de la volonté expansionniste des Lendu. Puis, en 2006, un cessez-le-feu fut accepté, mais plusieurs composantes lendu, dont celle dirigée par Cobra Matata, ne le respectèrent pas, et elles se livrèrent à des atrocités.

Pour encore compliquer la situation, en 2006, des gisements d’hydrocarbures ont été découverts dans la région. Dans l’état actuel des connaissances, les réserves atteindraient un milliard de barils et la production pourrait être de 1,5 millions de barils par jour. Le problème est que la nappe est située sous les eaux du lac Albert, de part et d’autre de la frontière contestée entre l’Ouganda et la RDC.

Par Bernard Lugan
Le 15/03/2022 à 11h00