Les constantes libyennes

L’Afrique réelle

ChroniqueLa Libye est une société à deux dynamiques, celle du pouvoir et celle des tribus. La constante socio-politique y est la faiblesse du pouvoir par rapport aux tribus. Au nombre de plusieurs dizaines, si toutefois nous ne comptons que les principales, ces tribus se démultiplient en plusieurs centaines si nous prenons en compte leurs subdivisions.

Le 16/11/2021 à 10h59

Vaste de 1.759 540 km2 et peuplée de près de 7 millions d'habitants en 2021, la Libye est une immensité vide. Citadins à plus de 90%, les Libyens sont à plus de 80% concentrés le long du littoral méditerranéen. La Libye fait à la fois partie du Maghreb et du Machreq. La Cyrénaïque qui a jadis été imprégnée d’une puissante marque hellénistique est culturellement rattachée au Machreq, alors que la Tripolitaine qui a subi l’influence carthaginoise fait partie du Maghreb. Durant l’Antiquité, la limite entre les deux régions était matérialisée par l’«autel des Frères Philènes» édifié au fond du golfe de la Grande Syrte.

La Libye est formée de trois ensembles aux fortes personnalités géographiques, humaines, historiques, politiques et économiques:

1- A l’ouest, la Tripolitaine avec la capitale Tripoli, est tournée vers la Tunisie. Délimitée au nord par la Méditerranée, la région est fermée sur ses trois côtés terrestres par trois vastes ensembles désertiques qui sont au sud, l'immense plateau rocailleux de la Hamada el Hamra, à l'ouest les dunes du Grand Erg Oriental, et à l'est, la séparant de la Cyrénaïque, la région des Syrtes (sable en grec) constitue une avancée du Sahara vers la Méditerranée. Elle présente la particularité d'être un désert entrecoupé de nombreux oueds secs la plus grande partie de l'année, mais dont les lits et les berges sont cultivables ou propices au pâturage. Au sud des Syrtes, dans la dépression de la Joffra, les trois oasis de Waddan, Hun et Sukna présentent pâturages et palmiers.

Au nord, le jebel Nefusa dont l'altitude culmine à 837 mètres et dont la végétation est clairement méditerranéenne est cloisonné par des escarpements rocheux séparant plaines et plateaux tombant sur l’étroite plaine littorale de la Djefara. Cette dernière qui naît dans le sud de la Tunisie est comme prise dans un étau entre la Méditerranée et le jebel qui s'incline en un vaste plateau s'abaissant vers le sud.

Au sud, la Tripolitaine est formée d'une vaste région particulièrement inhospitalière,

2- A l’est, séparée de la Tripolitaine par un bloc saharien de plus de 1000 kilomètres de large, la Cyrénaïque, avec pour ville principale Benghazi, regarde vers l’Egypte.

La région est dominée par le jebel Akhdar (la montagne verte). Long d'environ 300 kilomètres et large d'environ 100, ce dernier est formé de deux lignes de crête parallèles séparées par un plateau dont la largeur varie de 3 à 25 kilomètres et s'inclinant doucement vers le sud sur des régions de moins en moins arrosées allant jusqu'au désert. Entre la partie basse du jebel et la mer, s'étend une étroite bande côtière dont la largeur maximale est de 20 kilomètres en arrière de Benghazi. Grâce à la présence du jebel Akhdar, la région reçoit entre 300 et 500 mm de pluies par an.

3- Le Fezzan est une région basse largement occupée par de vastes étendues dunaires, les edeyen (erg), qui forment les deux grandes dépressions de Mourzouk et d'Oubari1. L'edeyen de Mourzouk a une superficie de près de 60 000 km2 totalement désertiques. Dans le sud du Fezzan, les serir, régions plates au sol meuble sont pareillement inhospitalières. Au sud-est, la région de Koufra avec ses oasis est isolée au bout d'une piste enserrée entre deux mers de sable.

La traversée du Fezzan ou Sahara libyen, se faisait traditionnellement en empruntant des couloirs tracés par des lignes d'oasis enchâssées dans des plateaux rocheux et des immensités dunaires hostiles.

La seconde grande originalité de la Libye est qu’il s’agit d’une société à deux dynamiques, celle du pouvoir et celle des tribus. La constante socio-politique y est la faiblesse du pouvoir par rapport aux tribus. Au nombre de plusieurs dizaines, si toutefois nous ne comptons que les principales, mais de plusieurs centaines si nous prenons en compte toutes leurs subdivisions, les tribus libyennes sont groupées en çoff (alliances ou confédérations) ayant des alliances traditionnelles mouvantes au sein des trois régions composant le pays.

Le colonel Kadhafi avait conservé le système tribal tout en l'encadrant à travers un système administratif moderne, avec préfectures (muhāfazāt) et municipalités (baladīyat).

Traditionnellement, les tribus les plus fortes agissaient en véritables «fendeurs d'horizons» car elles contrôlaient les immenses couloirs de nomadisation de l'axe Méditerranée-Fezzan. Les tribus les plus faibles pratiquaient quant à elles, un semi-nomadisme régional.

___________________ 1 En Libye, l'erg a pour nom edeyen. Il s'agit d'un terme berbère désignant une étendue de sable fin aux dunes arrondies. Pour les Arabes, il s'agit des ramla.

Par Bernard Lugan
Le 16/11/2021 à 10h59