Van Gogh interdit aux Marocains?

Fouad Laroui. 

Fouad Laroui.  . DR

ChroniqueCe jour-là, Jaouad se joint à la longue file des amateurs d’art qui battent le pavé. Pas pour longtemps: un vigile s’approche de lui et lui demande ce qu’il fait là.

Le 31/08/2016 à 10h59

Le musée Van Gogh d’Amsterdam est certainement l’un des musées les plus intéressants d’Europe. Il contient une collection inégalée d’œuvres du pauvre Vincent – quelle vie ! - mais pas seulement: on y trouve aussi des toiles de Gauguin, Toulouse-Lautrec, Manet, Vuillard, Bonnard, etc. Il y a aussi des estampes japonaises – Van Gogh les collectionnait -, des dessins de Degas, et ainsi de suite. Bref, comme dirait le Michelin: il vaut plus qu’un détour, il vaut le voyage.

Jaouad – c’est son prénom – n’a pas eu à voyager pour venir découvrir le musée: il habite à Amsterdam. C’est un jeune homme, tout juste sorti de l’adolescence, qui décide de visiter ce haut lieu de la culture dont il entend parler depuis l’enfance. Ce jour-là, il se joint donc à la longue file des amateurs d’art qui battent le pavé en attendant de pouvoir accéder au Walhalla. Pas pour longtemps: un vigile s’approche de lui et lui demande ce qu’il fait là.

A partir de cet instant, cette histoire – absolument authentique – peut bifurquer dans plusieurs directions. Si Jaouad avait eu l’équanimité du Dalaï-Lama, il aurait décoché un sourire angélique au cerbère et lui aurait calmement répondu qu’il venait admirer les peintures de Vincent Van Gogh. S’il avait eu l’expérience de l’âge ou le cuir épais de celui qui est habitué à la méchanceté du monde, il n’aurait pas souri mais ne se serait pas, pour autant, départi de son flegme: il aurait rétorqué brièvement qu’il faisait la queue, comme tout le monde, pour acheter un billet, comme tout le monde. Si Jaouad avait eu ce sens de l’ironie que l’on n’acquiert qu’après avoir constaté, sur mille exemples, que le monde est absurde et l’espèce humaine au-dessous des chats, il aurait répondu :

- Je fais la queue pour acheter des fleurs, on m’a dit que vous aviez de beaux tournesols.

Malheureusement, Jaouad est un jeune à la sensibilité à fleur de peau, peu enclin à faire des concessions. Il se met immédiatement à hurler:

- Ce que je fais là ? Et pourquoi ne le demandes-tu pas à lui (il désigne un grand Hollandais blond), à eux (couple de Japonais ébahis), à elles (trois Américaines délurées), etc. Est-ce parce que j’ai une tête de Marocain? Gros connard de raciste!

Le vigile empoigne son walkie-talkie et appelle son supérieur (une dame) qui accourt et tente de raisonner Jaouad en lui expliquant que les gardiens font de temps en temps des servicegesprek (en néerlandais dans le texte), c’est-à-dire qu’ils engagent la discussion avec des gens qui font la queue lorsque ceux-ci ne correspondent pas au profil habituel des visiteurs.

À ces mots, la colère de Jaouad redouble :

- Si je comprends bien, le fait qu’on voit rarement des Marocains au musée Van Gogh rend suspects tous les Marocains qui le visitent?

Et de conspuer vertement le vigile, sa patronne et le musée tout entier. C’est l’esclandre! Le couple de Japonais a fui, les Américaines se serrent l’une contre l’autre, des Péruviens prennent des selfies avec le terroriste. La police arrive et éloigne Jaouad qui ne se laisse pas faire: il dépose immédiatement plainte contre le musée. Des associations anti-discrimination se saisissent de l’affaire, qui court encore et se réglera devant les tribunaux. Je vous tiendrai au courant.

Maintenant, que pouvons-nous faire, vous et moi, pour que de tels incidents ne se reproduisent pas? Bien sûr, nous ne sommes aucunement responsables de ce qui est arrivé à Jaouad, la faute est du côté de l’obtus vigile ou de ceux qui lui ont donné de malencontreuses instructions, mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de changer les préjugés des uns et des autres. Que pouvons-nous faire? Eh bien, envahissons les musées! Allons partout visiter les expos, encenser Vermeer en darija, critiquer Buffet et Vasarely (ces fausses gloires) avec l’accent de Sidi Bennour, promouvoir nos propres artistes, vêtus de djellabas mêlant le rouge et le vert, etc. Qu’on voie aussi souvent des Marocains au musée que des Irlandais au pub! Et si nous n’arrivons pas à changer les mentalités, au moins nous nous cultiverons rapidement et de la façon la plus agréable qui soit…

Par Fouad Laroui
Le 31/08/2016 à 10h59