La gauche espagnole et le Sahara occidental

L’Afrique réelle

ChroniquePar la lettre que le chef du gouvernement espagnol vient d’adresser au Roi Mohammed VI en personne, c’est donc une nouvelle page des relations entre Madrid et Rabat qui s’ouvre. Cette prise de position met un terme à plus d’un siècle et demi de tensions et de non-dits qui empoisonnaient littéralement les relations entre les deux pays.

Le 29/03/2022 à 12h01

C’est une véritable révolution politique que vient de conduire le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez en soutenant le plan d’autonomie marocain sur le Sahara occidental. En effet, jusque-là, l’appui de la gauche espagnole au Polisario, puis ses «ambiguïtés», faisaient que les socialistes au pouvoir à Madrid étaient, de fait, des alliés de ce mouvement.

Par la lettre que le chef du gouvernement espagnol vient d’adresser au Roi Mohammed VI en personne, c’est donc une nouvelle page des relations entre Madrid et Rabat qui s’ouvre. M. Pedro Sanchez écrit ainsi que l’Espagne et le Maroc sont «deux pays unis inextricablement par des affections, une histoire, une géographie, des intérêts et une amitié partagés». Cette prise de position met donc un terme à plus d’un siècle et demi de tensions et de non-dits qui empoisonnaient littéralement les relations entre les deux pays.

La présence espagnole au Sahara occidental remonte à 1881 quand fut fondée la Sociedad Pesquerias Canario-Africanas qui installa un comptoir sur le site de Villa Cisneros.

En 1884 fut fondée la Sociedad de Africanistas y Colonistas qui coordonna les initiatives ultramarines et, au mois de décembre de la même année, le gouvernement espagnol décida d'établir son protectorat sur le littoral saharien, du cap Bojador au cap Blanc-Lagwira. Des troupes furent ensuite débarquées sur la presqu'île de Dakhla où le petit poste de Villa Cisneros sortit de terre.

Durant dix ans, de 1884 à 1894, les Ouled Delim interdirent à la garnison espagnole d'élargir la zone sous son contrôle, limitée au poste et à ses environs immédiats. En 1887, en 1892, en 1894 et en 1898, Villa Cisneros fut prise et pillée par les Ouled Delim.

A partir de 1912, les Espagnols rattachèrent administrativement leurs possessions sahariennes à leur Protectorat marocain. En 1916, ils s’installèrent au Cap Juby (Tarfaya), puis, en 1919, ils prirent effectivement possession du Cap Blanc, à l'extrémité sud du futur Rio de Oro où ils y fondèrent le comptoir de la Guera (La Gouira, Lagwira).

En 1934, le Haut-commissaire d'Espagne au Maroc devint également gouverneur général des territoires d'lfni, du Sahara Occidental et du Rio de Oro. Sidi Ifni fut occupée en 1934 et Smara en 1936.

En 1947, conscientes qu'il leur faudrait accorder un jour l'indépendance à leur protectorat marocain, les autorités espagnoles qui désiraient maintenir leur présence au Sahara détachèrent administrativement cette région du Maroc en créant l'Afrique Occidentale Espagnole (AOE) qui fut divisée en deux entités administrativement distinctes: Ifni et le Sahara, ce dernier étant partagé en deux zones, à savoir la Saquia el-Hamra et le Rio de Oro (ou Oued ad Dahab).

Le 12 janvier 1958, Madrid créa le Sahara Espagnol en réunissant le Rio de Oro et la Saquia al-Hamra qui devinrent des provinces espagnoles élisant leurs représentants aux Cortès. Au mois d’avril 1961, El Aaiun (Laâyoune) devint la capitale du territoire.

En 1962, devant le refus espagnol d'envisager une restitution du Sahara occidental au Maroc, le roi Hassan II décida de saisir l'Organisation des Nations unies en demandant au Comité de décolonisation de mettre Ifni et le Sahara occidental sur la liste des territoires à décoloniser.

Le 17 décembre 1965, par la résolution n° 2072, l’Assemblée générale des Nations unies demanda pour la première fois à l’Espagne d’engager le processus de décolonisation du territoire, puis, un an plus tard, le 20 décembre 1966, elle demanda à Madrid de restituer la zone de Sidi Ifni au Maroc, ce qui sera fait en 1969.

Mais l’Espagne contrôlait toujours le Sahara marocain. Aussi, le 17 septembre 1974, dans un contexte de situation bloquée, le roi Hassan II suggéra de présenter le différend maroco-espagnol à la Cour internationale de justice. L'Espagne refusant de soumettre à cette dernière son contentieux avec le Maroc, Rabat se tourna alors vers l'Organisation des Nations unies et lui demanda d'intervenir. Le 13 décembre 1974, l'Assemblée générale des Nations unies décida de demander à la Cour internationale de justice un avis consultatif sur les droits historiques du Maroc sur le Sahara occidental.

Le 16 septembre 1975, la Cour internationale fit connaître son avis par lequel elle donnait raison au Maroc. Dès lors, juridiquement en position de force, le roi Hassan II chercha un moyen de contraindre le gouvernement espagnol à négocier avec lui. Il imagina alors de réunir 350 000 volontaires représentant toutes les provinces, régions, villes du Maroc et de les faire participer à une marche pacifique vers le Sahara occidental.

Sur place, la situation était explosive car le Polisario (Front populaire pour la libération de la Saquia el Hamra et du Rio de Oro), lança des actions provocatrices afin de pousser les Espagnols à intervenir contre la Marche Verte. C'est ainsi que le 3 novembre, à Tifariti une section de la 1ère compagnie de la Vlle Bandera espagnole fut attaquée par un fort parti composé d'Algériens et de membres du Polisario. Nonobstant, le gouvernement espagnol donna l'ordre à ses troupes de se replier devant la Marche Verte qui débuta le jeudi 6 novembre 1975.

Le 14 novembre, à Madrid, l’accord tripartite Maroc, Mauritanie, Espagne fut signé, mais l’Algérie le contesta. Entre le 29 janvier et le 15 février 1976, dans la région d’Amgala de violents combats éclatèrent quand l’armée algérienne et ses protégés du Polisario tentèrent de s’opposer à l’installation marocaine.

Alger ne cessa ensuite plus de soutenir militairement et politiquement le Polisario dont les cadres étaient constitués par des Marocains et des Mauritaniens se rattachant très majoritairement à la mouvance révolutionnaire marxiste ou socialo-tiers-mondiste. A partir de ce moment, par solidarité révolutionnaire, la gauche espagnole s’aligna sur les positions du Polisario. Remarquons que ce fut toute la gauche européenne, notamment dans les pays de l’Europe du Nord qui prit fait et cause pour le Polisario. Sans parler naturellement de la gauche française durant les mandats présidentiels de François Mitterrand, quand Danielle Mitterrand, l’épouse de ce dernier, ne cessa de militer et d’intriguer en faveur du Polisario.

Par Bernard Lugan
Le 29/03/2022 à 12h01