Al Hoceima, affaires Bouaachrine et Hamieddine… Chaouki Benyoub met les points sur les «i»

Chaouki Benyoub.

Chaouki Benyoub. . DR

Revue de presseKiosque360. Dans sa première sortie médiatique, le nouveau délégué interministériel aux droits de l’Homme, Ahmed Chaouki Benyoub, ne mâche pas ses mots. Il ne verse pas non plus dans la langue de bois.

Le 27/04/2019 à 00h18

Avant de passer au fond du sujet, Ahmed Chaouki Benyoub a tenu à préciser le rôle de la délégation et ses rapports avec le ministère d’Etat, levant définitivement l’équivoque maintenue à ce sujet depuis sa nomination.

Ainsi, dans un long entretien publié dans l’édition du week-end des 27 et 28 d’Al Ahdath Al Maghribia, cet ancien dirigeant de l’OMDH précise que «nous avons effectivement deux responsables ayant le même grade. L’actuel délégué interministériel a, en effet, le grade de ministre alors que dans la précédente version, il était assimilé à un secrétaire d’Etat. Dans les faits, c’est le ministre d’Etat qui s’occupe de l’aspect politique du dossier et c’est lui l’ordonnateur de paiement. La Délégation s’occupe de la gestion administrative et financière, attribution qui vient d’être par ailleurs transférée au secrétaire général». Cependant, le secrétariat général et les directions du département se trouvent dans les locaux de la Délégation. En définitive, note-t-il, nous avons deux responsables politiques du même grade, installés dans des locaux mitoyens et qui gèrent le même dossier. Que faire dans ce cas? «La loi nous contraint à la cohabitation.»

Une fois cette précision faite, le responsable gouvernemental passe aux dossiers qui préoccupent l’opinion publique. Après avoir commenté l’interdiction par la justice de l’association Racines, mentionnant la décision du Parquet, qui avait deux choix, d’opter a pour une poursuite civile. Pourtant, le procès aurait pu prendre une tournure pénale. Il faut savoir, à ce propos, que le droit international en matière de droits de l’Homme justifie les poursuites pour outrage aux mœurs et à la morale publique. Le juriste et le militant des droits de l’homme n’en dit pas plus, dans la mesure où l’affaire n’a pas encore épuisé tous les recours judiciaires. 

Pour ce qui est de l’affaire d’Al Hoceima, Chaouki Benyoub a abordé le sujet d’une manière plus ample. Le Rif, souligne-t-il, occupe une place importante dans le cœur des Marocains. Pourtant, à Al Hoceima, les citoyens ont manifesté pendant six mois sans que cela n’ait provoqué un quelconque débat public. Il y a bien eu quelques articles, mais pas d’études. En France, par exemple, six livres ont été écrits sur les gilets jaunes en à peine cinq mois de manifestations. D’un autre côté, les poursuites judiciaires n’ont été engagées qu’après la mise à feu d’un local occupé par les forces de l’ordre et l’incident de la mosquée. Ce n’est qu’à ce moment que l’Etat est intervenu pour restaurer l’ordre public.

Maintenant que la justice a dit son mot, la Délégation s’engage à publier un rapport thématique sur le dossier d’ici juillet. Pour sa part, le CNDH vient de lancer une initiative envers les mères et les épouses des détenus. Ses résultats seront soumis à l’assemblée générale du Conseil pour prendre les décisions qui s’imposent.

De même, le CNDH, estime le délégué interministériel, devra lancer un débat national sur cette affaire, impliquant les politiques, des sociologues et les acteurs associatifs. Cette réaction n’est-elle pas tardive? Du tout, tranche-t-il. S’il y avait un mécanisme de prévention, nous n’en serions pas là, explique-t-il. Cela dit, le CNDH a bien accompagné les familles des inculpés pendant tout le procès.

Par contre, pour éviter que cela ne se reproduise, il faudra mettre en place un cadre légal pour les rassemblements. Certes, le plan d’action national en matière de démocratie et de droits de l’Homme prévoit bien une loi en ce sens, mais il ne faut pas compter sur le Parlement pour encadrer le débat. Dans le cas contraire, nous serions dans le cas d’une grève qui attend une loi depuis 50 ans. L’institution la plus appropriée pour abriter ce débat est le CNDH.

Cela étant, alors que les jugements ont été prononcé dans l’affaire d’Al Hoceima, Chaouki Benyoub comprend que les familles expriment leur peine dans la rue, que les tendances de la gauche et les organisations des droits de l’Homme manifestent pour les condamner. Cela fait partie de leur doctrine.

«En même temps, j’invite la jamaa qui s’est mobilisée et a appelé à la marche du dimanche (21 avril) à préserver la paix sociale et la vie en commun». Fait-il référence à Al Adl Wal Ihssane? Ne soyons pas dupes, précise-t-il, le mot «hirak» retenu pour qualifier ces événements, a été inventé dans les chambres noires qui ont vu naître les scénarios de destructions en Irak, en Syrie et en Libye. C’est un mot qui relève de la terminologie de l’islam radical. Dans le vocabulaire qui nous est propre, nous utilisons les vocales «rassemblement» ou, dans les cas extrêmes, «soulèvement».

De toutes les manières, le tableau n’est pas totalement sombre dans cette affaire. Le roi a bien prononcé un discours à Al Hoceima, c’est un message. Une partie des condamnés a été libérée et des dizaines de rencontres ont eu lieu. C’est une affaire compliquée dans laquelle se rejoignent les dimensions politique, économique, sociale et électorale ainsi que des influence régionales et socioculturelles. Le dossier prend le chemin de la résolution, mais, prévient-il, il serait illusoire de croire qu’on pourrait faire pression sur les juges en mobilisant la rue.

En passant à l’affaire Bouachrine, le responsable des droits de l’Homme souligne que c’est d’abord un journaliste, d’une certaine manière un journaliste opposant. Mais ces deux qualités ne peuvent lui être d’aucun recours dans les faits qui lui sont reprochés. «J’ai lu et bien étudié le texte du jugement parce que je serai prochainement à la tête de la délégation qui va rencontrer le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire», précise Chaouki Benyoub. Ce que je peux dire aujourd’hui, ajoute-t-il, c’est qu’il y a effectivement eu des agressions sexuelles et qu’on ne peut accepter. Il fallait au moins que le groupe des experts de l’ONU les entendent.

Bien plus, insiste-t-il, «en matière d’agressions sexuelles contre les femmes ou les enfants, je ne me préoccupe pas des preuves à charge. Que l’auteur des crimes soit à l’origine des enregistrements à des fins de chantage ou qu’ils soient réalisés par ses adversaires politiques ou ses concurrents, cela ne change rien pour moi». C’est d’ailleurs le point de vue du droit international des droits de l’Homme, souligne-t-il. Dans cette affaire, nous ne sommes plus face à des allégations qu’il faut prendre avec précaution, mais bien devant une vérité établie par la justice. 

Pour ce qui est de l’affaire du dirigeant islamiste Abdelali Hamieddine, le délégué interministériel a été très clair, comme pour le reste des autres sujets d’ailleurs. «La décision d’arbitrage de l’IER ne peut être considérée comme une preuve ni à charge ni à décharge du mis en cause». C’est un cas parmi plus de 27.000 que l’instance a traité. L’objectif était de savoir si, au moment de sa détention préventive, Hamieddine avait été bien traité ou non. Rien de plus. C’est sur cette base qu’il a été indemnisé. L’IER ne s’est pas intéressé au fond de son dossier. C’est d’ailleurs pour cela que même des personnes qui présentaient un danger pour la stabilité de l’Etat avaient quand même été indemnisées. 

Par Amyne Asmlal
Le 27/04/2019 à 00h18