Exclusivité-Le360. Ep12. Les bonnes feuilles de «Meg Broncovitch», un récit de Mustapha Kebir Ammi

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Mustapha Kebir Ammi nous offre un texte inédit, "Meg Broncovitch", dont nous vous proposerons, chaque semaine, un extrait. Un texte lié à l'actualité et plein de rebondissements. Du narrateur, l'auteur dit qu'il lui ressemble "comme un double" dans ce récit qui, ajoute-t-il, "évoque des problématiques importantes", servies par une plume délicieuse.

Le 26/03/2022 à 11h34

Je ne retournai pas tout de suite chez moi. Il s’était arrêté de pleuvoir et il y avait une jolie lumière. Je voulais marcher un peu, pour sentir encore cette odeur qui ne dure pas longtemps et que la pluie laisse derrière elle. Je marchais d’un pas lent, très lent. Je me suis engagé dans Queen Street. Puis Campden Hill Road. Ça faisait longtemps que je n’étais pas passé par là. Je ne me souvenais plus de cet endroit où j’étais venu tant de fois. Il y a une église, Saint Mary Abbot Church, où Meg Broncovitch aimait à se recueillir et un square devant avec deux ou trois tombes et un banc sous un saule pleureur. Je m’étais assis là tant de fois pour lire. Le lieu est paisible. J’ai suivi Pelham, puis Elystan street, comme je l’avais fait une fois avec Meg Broncovitch. J’avais le sentiment, par moments, que Meg était à mes côtés. J’étais à Sloane Square quand l’odeur que la pluie laisse derrière elle, une odeur de tourbe et de bruyère, s’est estompée.

Je regardai ma montre. Il était temps que je rentre chez moi, mais je choisis d’entrer dans un pub, où je fus pris d’une espèce de vertige: je venais de reconnaître quelqu’un que je connaissais bien et qui jurait ses grands Dieux qu’il ne pourrait jamais mettre les pieds dans pareil endroit où la jeunesse dorée va s’encanailler! C’était pourtant bien lui, Simpson, pas un sosie. Je songeai qu’à me rendre transparent, je ne voulais pas lui causer d’embarras, je me glissai derrière une colonne et m’approchai de la sortie. Je n’espérais qu’une chose: que Simpson ne tourne jamais les yeux dans ma direction.

Je sortis enfin et m’appuyai contre un arbre, je soupirai et rendis grâce au ciel, quand je vis s’approcher deux autres silhouettes que je connaissais bien. Ma tête se mit à tourner, je croyais être soudain devenu fou. Mais c’était bien Miss Bridgewater, la secrétaire de Nick, l’austère secrétaire élevée chez les jésuites, qui entrait dans le pub et l’infâme Robert Mc Caine qui lui emboîtait le pas!

J’ai sauté dans un bus, il n’allait pas dans ma direction, il traversait Green Park, pour aller ensuite se perdre dans la grande banlieue, ces cités grises, comme Lewisham et Brixton, mais je voulais m’éloigner à tout prix de Sloane Square. Inutile de vous dire comment ce voyage fou s’est achevé!

J’ai revu Nick et Laura, à quatre reprises au moins, après ça. Nick s’était mis à jouer les amoureux transis. Mais il était mauvais comédien. Ce n’était pas le Nick que je connaissais. Il y avait quelque chose de tragique et de faux dans cette scène qu’il jouait à Laura. Puis je cessai de les voir pendant deux mois. Je reçus de nombreux coups de fil, je prétextai à chaque fois que j’avais la tête sous l’eau, ce qui n’était pas entièrement faux.

C’est une période où je voulais refaire un entretien avec dix écrivains nés en islam. Ils m’avaient tous donné leur accord de principe pour dire, clairement et sans détours, à ceux qui veulent nous détruire, parce que nous sommes tout simplement des hommes, qu’ils ne passeront pas. Mais je ne pus pas mener ce travail à bien, je ne sais plus trop pourquoi. Non, ce n’est pas seulement parce que n’avais pas l’esprit en paix.

Je revis Simpson deux semaines plus tard. Je voulais lui demander de me montrer la photo de Meg Broncovitch, je n’arrivais pas à l’oublier, elle était là, persistante, elle continuait de me ronger de manière souterraine. Puis je décidai de ne rien dire, je ne mentionnai pas le nom de Meg Broncovitch, cela pouvait tout compromettre. Je le laissai faire les questions et les réponses: il me parla de l’Open de Golf, qui commençait dans quelques jours, dans les environs de Saint-Andrews, en Ecosse, et il avait décidé de s’accorder un petit congé pour s’y rendre. Je me réjouissais de cette bonne nouvelle: je profiterais de son absence pour m’introduire chez lui. Le quartier où vivait Simpson, autour du Métro Angel, est archi bondé, à toutes les heures du jour. Il y a un pub et un marchand de bagels, notamment, qui drainent une foule considérable, ils avaient su se bâtir une réputation qui ne faisait pas mes affaires. Mais l’immeuble de Simpson avait une fenêtre, sur l’arrière-cour, qui me permettait de me glisser discrètement chez lui.

Je ne suis jamais entré par effraction nulle part et n’ai jamais mis les biens d’autrui en danger. C’est la première fois de ma vie que je m’apprêtais à enfiler la tunique de l’infamie pour briser une serrure et violer l’espace d’un tiers. Mes gestes étaient imprécis et je tremblais. Simpson pouvait revenir à l’improviste et me surprendre. Que dirais-je pour ma défense? Je connaissais assez bien son appartement. Je m’y étais rendu plus d’une fois pour voir Simpson. C’était l’appartement d’un homme qui vivait seul. Des objets hétéroclites et des meubles de toutes sortes l’encombraient, un peu comme la galerie d’un antiquaire à la veille d’une vente aux enchères. Simpson l’avait modestement baptisé son musée de la brocante! Il était impossible de faire un pas sans rien heurter. Mais j’avais une petite lampe de poche, qui m’éviterait de buter et de tout faire capoter. Le moindre bruit alerterait les voisins qui savaient que Simpson n’était pas là. Il laissait toujours le double de ses clefs à l’un d’entre eux quand il s’absentait. Je me rendrais dans son bureau, que je connaissais bien, et là, je n’aurais aucun mal à m’emparer de la photo, Simpson ne pouvait que l’avoir bien mise en évidence sur une étagère ou sur la cheminée. Il exposait toujours les photos de ses proches, ou de ses amis, dans un endroit ou à un autre de son bureau. Il n’y avait pas de raison que la photo de Meg Broncovitch fasse exception à cette manie. Je n’avais rien laissé au hasard. J’avais envisagé de renverser quelques objets, deux chaises, une table basse, briser un vase, casser un carreau de fenêtre pour laisser croire que l’appartement avait été visité par un cambrioleur. Mais je ne pus pas entrer, à l’instant ultime. Je jetai la lampe de poche dans un bosquet et rebroussai chemin, honteux d’avoir échafaudé ce plan et voulu trahir un ami.

Simpson n’a pas grandi à l’ombre de la vertu, mais il n’aurait jamais pensé, je crois, qu’une trahison viendrait de moi. Je n’ai pas oublié ce projet d’intrusion, il n’est pas certain qu’une vie me suffise pour l’oublier.

A l’aube du jour suivant, Nick vint me voir. Il ne me reparla pas de Robert Mc Caine, cette fois, même s’il fit allusion à l’œuvre abominable d’Abu Nidal. Il avait un coup dans le nez. Il avait peut-être même absorbé des substances hallucinogènes. De quoi voulait-il me parler? Je me hâtai de l’éconduire, amicalement, bien sûr. Je ne voulais pas qu’il me tienne la jambe, comme Laura l’avait fait à son retour de Crète, et me fasse perdre inutilement mon temps. J’avais un train à prendre, j’avais décidé de me rendre à Oxford, pour rencontrer le professeur Clarksdale.

Il y avait une lumière éclatante quand j’ai posé le pied à Oxford, je n’étais pas revenu là depuis très longtemps. Je ne tardai pas à voir que Clarksdale était un homme fantasque. Mais je m’accommodai des quelques travers farfelus du personnage, qui ne manqua pas, par moments, de m’inquiéter. Je ne fis aucunement allusion à Simpson. Clarksdale était un homme affable et très aimable, il m’aurait bien aidé, j’en suis sûr, s’il avait su la moindre chose, mais il ne se souvenait pas d’avoir jamais rencontré une dénommée Meg Broncovitch. Je lui avais fait croire que Meg était une cousine, au premier degré, que ses parents, sur leur lit de mort, voulaient revoir pour s’éteindre en paix. Il s’émut, me priant d’assurer les parents de Meg de toute sa compassion.

Clarksdale parlait plusieurs langues étrangères, dont l’arabe, qu’il avait appris en chambre. Il n’avait jamais quitté son cabinet de travail, un bureau bourré de livres, avant l’âge de trente ans. C’est bien après qu’il a commencé à voyager. Il connaissait par cœur les poèmes de Hallaj, le poète mystique que des fanatiques avaient exécuté après l’avoir mutilé au troisième siècle après l’Hégire. Il m’en récita quelques-uns, je n’avais rien demandé, mais il considérait que cela me ferait nécessairement plaisir.

ô Dieu, que le soleil soit à l’aurore ou au couchant,ton amour adhère à mon souffle

Il se drapait dans une pose inspirée, en perdant son regard dans le lointain, et récitait d’une traite. Il ne respectait ni points ni virgule, il attendait la fin pour faire une longue pause, d’une minute au moins, et reprendre son souffle.

Si Tu leur avais révélé ce que Tu m’as révélé,Ils n’auraient pas fait ce qu’ils ont fait.Et si tu m’avais caché ce que Tu leur as caché,Je ne serais pas dans le malheur où je me trouve.

Il avait quelque chose de Jerry Garcia, j’ai cru un moment que j’étais en présence du chanteur des Grateful Dead, il en avait l’allure ainsi que la barbe et il était petit comme lui. Il affectionnait les couleurs criardes, on aurait dit qu’il se préparait pour un Festival de Woodstock bis. Il portait un pantalon rouge, une chemise jaune, une veste bleue et des chaussures blanches pour danser les claquettes.

-Je connais votre pays, me dit-il quand il sut que j’étais du Maroc.

Il l’avait sillonné en long et en large. Il connaissait toutes les pierres, toutes les ruines de Volubilis. Il s’était arrêté dans ce haut lieu de la mémoire, pour se ressourcer, comme tous les écrivains voyageurs, avant de se rendre dans le grand sud. Il connaissait la vie des peuples anciens et une foule de choses sur ces tribus, du Yémen et du Maroc, qui continuaient de vivre comme dans les premiers temps de l’islam. On trouve des représentants de ces tribus, dans le détroit d’Ormuz et à Zanzibar. Il lui plaisait de me dire qu’il s’était rendu dans la corne de l’Afrique notamment, sous une fausse identité. Les shebabs ne tenaient pas le haut du pavé encore, mais ils n’auraient pas permis qu’un homme, né dans une autre religion que la leur, s’aventure chez eux. Il faisait partie de ces gens qui se croient obligés, quand ils vous voient, de faire l’éloge de l’islam. Ils s’imaginent que vous êtes le gardien d’un temple sacré et qu’ils vous doivent cela. Ils vous disent que l’islam est une grande religion. Que dis-je? La plus grande des religions! Ils évoquent, pour s’extasier devant leur grandeur et magnificence, Samarcande, Grenade ou d’autres choses encore, comme l’humanisme et les lumières de l’islam. Tel était Clarksdale.

Par Le360
Le 26/03/2022 à 11h34