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Le football peut survivre à tout, sauf à des stades vides

Des stades marocains répondant aux normes FIFA. © Copyright : DR
Les places, censées être les plus chères, sont souvent distribuées gratuitement via un système d'invitation injuste, car il ne correspond à aucun critère économique.

Un des premiers conseils que donnent les professeurs d'arts plastiques à leurs jeunes élèves: «n'offrez jamais vos toiles». C'est un conseil judicieux, les toiles offertes sont rarement exposées, elles meublent des zones peu fréquentées lorsqu'elles ne sont pas cachées dans des greniers ou des caves. L'idée derrière cette préoccupation pédagogique est liée à la valeur que l'on donne à une œuvre artistique. Cette valeur est intimement liée au prix auquel on l'a payée. C'est vrai pour la peinture, c'est vrai en sport aussi.

Pendant de très longues années, l'accès aux terrains de football du championnat marocain était limité à 10 dirhams avec gratuité pour les femmes et les enfants. Voir Bamous, Faras, Zaki ou Timoumi ne coûtait que cette modique somme. Pire, des personnalités importantes n'hésitaient pas à faire jouer leurs relations pour bénéficier d'invitations gratuites, de surcroît bien placées. On ne peut pas dire que ces pratiques ont bénéficié au football, bien au contraire, elles ont attiré des hordes de jeunes désœuvrés qui ont nui aux équipes, le football n'attirait que des voyous, et aux clubs qui n'avaient pas les moyens de leurs ambitions. Ce qui est gratuit n'a pas de valeur. Pour remplir le stade, on n'hésitait pas à ouvrir les portes en seconde mi-temps. Ces pratiques n'ont pas bénéficié au football marocain, c'est une certitude. Elles ont fait fuir le public qu'on aurait voulu attirer et multiplier les besoins en forces de l'ordre pour contenir celui qu'on avait, de plus en plus sensible à l'hooliganisme.

La professionnalisation progressive du football a changé la donne. Des matchs à forte audience ont permis aux organisateurs d'imposer des tarifs à la hauteur des enjeux. La médiatisation, à l'international, du derby Raja-Wydad, l'amélioration des infrastructures, le développement d'associations de supporters et la vente électronique ont permis d'augmenter les recettes issues de la vente des billets. D'autres problèmes ont surgi. Le plus palpable concerne la hiérarchisation des tarifs. Elle est inversement proportionnelle aux moyens des catégories socio-professionnelles. Les places, censées être les plus chères, sont souvent distribuées gratuitement via un système d'invitation injuste, car il ne correspond à aucun critère économique.

En Europe et aux États-Unis, on invite des clients pour des matchs de prestige. Il y a même des loges conçues à cet effet, mais ces invitations ne sont pas gratuites. Ce sont des places qui ont été, au préalable, vendues à de grosses entreprises qui en profitent pour organiser des rencontres d'affaires en présence de leurs meilleurs clients. Ces derniers le savent et apprécient la démarche commerciale de leur fournisseur. Ce n'est pas la même nature d'invitation. Celle qui prévaut au Maroc est uniquement protocolaire. Ceux qui invitent n'ont rien acheté, ils distribuent des places sans discernement et un peu à n'importe qui, dévalorisant ainsi la qualité de l'emplacement. Un officiel venu présider un match de gala se retrouve entouré de spectateurs qui n'ont rien d'officiels.

Le football au Maroc ne vit pas de la vente des billets, bien heureusement. Des ressources importantes ont renforcé l'économie des clubs, du moins pour ceux qui sont bien gérés. Et cet aspect, la vente des billets et le confort des spectateurs, est globalement négligé. Les catégories populaires en souffrent. Le titulaire du billet, qu'il a pu acheter sur internet et récupéré au guichet, n'a quasiment aucune chance d'occuper la place qu'il a choisie. Elle est souvent occupée par un malabar difficile à déplacer. Un problème fréquent appelé «sitting», un anglicisme qui veut dire : non-respect des places numérotées. Il se posera avec insistance, en 2030, lors de la Coupe du Monde, que le Maroc s'apprête à organiser avec l'Espagne et le Portugal.

Encourager et réhabituer les spectateurs à venir au stade et à payer leur place pour des matchs, sans le protagonisme de leur équipe préférée, va être le défi humain des organisateurs. Tous les autres seront relevés. Aucun Marocain ne doute de la capacité des autorités marocaines à préparer et réussir n'importe quelle compétition sur les plans logistique et infrastructurel. Il faudra aussi réussir le projet humain. Il nécessite une feuille de route dans laquelle seront associés d'autres composantes de la nation, les élus, les associations de quartiers et celles des supporters. Le Maroc a la chance de pouvoir tester toutes les solutions imaginées. Il va organiser, avant la Coupe du Monde, la CAN 2025, cinq éditions de la Coupe du Monde féminine des U17 et probablement la deuxième édition de la Coupe du Monde des Clubs 2029, avec l'Espagne et le Portugal. Autant d'occasions de tester les modèles proposés et de les améliorer. C'est une opportunité qu'il faudra saisir. Le football peut survivre à tout, sauf à des stades vides.

Par Larbi Bargach

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